Changement climatique et systèmes de surveillance sanitaire

Florian Girond : Avant de rejoindre le CDC, je travaillais déjà dans le pays, notamment avec l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et l’Institut Pasteur du Cambodge (IPC). Pendant la crise de la Covid-19, nous avons soutenu le ministère de la Santé en développant des pipelines de données permettant de relier les données épidémiologiques et celles issues des laboratoires de l’IPC. En 2022, j’ai ensuite intégré le CDC, dont le but est de surveiller et de répondre aux épidémies, en tant qu’expert technique international (ETI). Mon travail porte notamment sur la surveillance des maladies transmissibles. J’accorde une importance particulière à la dimension environnementale et climatique pour construire de façon prospective et itérative des systèmes d’alerte précoce.

Florian Girond : Le Cambodge a mis en place un système numérique de surveillance syndromique (DHIS2). Il permet de suivre plusieurs maladies à partir d’un ensemble de symptômes, parmi lesquels les syndromes de la dengue, des encéphalites, des infections respiratoires ou encore des méningites. Ce système s’inscrit dans un dispositif d’alerte précoce, capable de détecter des accélérations anormales du nombre de cas ou des ruptures dans les séries temporelles, c’est-à-dire des évolutions inhabituelles des données.

Avec l’IRD, et notamment Vincent Herbreteau, de l’UMR ESPACE-DEV, nous explorons la façon d’intégrer des indicateurs de dynamiques environnementales et de changement climatiques dans les systèmes de surveillance. En croisant les variables environnementales et climatiques issues de la télédétection, à travers des satellites, avec les données sanitaires, il est possible de modéliser la progression d’une épidémie en la reliant à un facteur externe. Par exemple, une hausse du nombre de cas de dengue pourrait être liée à des anomalies de précipitations ou de températures dans les semaines précédentes. Il faut « nourrir » les systèmes de surveillance sanitaire, ajouter des données explicatives pour améliorer la prédictibilité des risques d’alerte à venir et faciliter la contextualisation et l’interprétation des signaux. Ce qui se passe aujourd’hui nous permet de faire des prédictions à long terme (8 à 12 semaines) et d’avoir un modèle prospectif et opérationnel.

Mekong River in Phnom Penh, Cambodia
Le Cambodge est l’un des pays les plus vulnérables au changement climatique en Asie du Sud-Est.

Florian Girond : Pour être pleinement exploitables, ces données doivent être visualisées. Nous développons des plateformes interactives permettant d’observer l’évolution des cas dans le temps, de manière chronologique, mais aussi dans l’espace. En tant que géographe de la santé, la dimension spatiale de l’analyse me paraît essentielle.

Nous utilisons des outils comme R, un langage open source qui permet de réaliser des traitements statistiques et des représentations graphiques. Nous formons les autorités sanitaires et environnementales du pays à leur utilisation. Cela leur permet automatiquement les informations disponibles. Ils peuvent ainsi détecter un pic de dengue dans une province et le mettre en relation avec des données climatiques (précipitations, températures, anomalies sur le long terme).

Nous réalisons également des tableaux de bord interactifs et des bulletins hebdomadaires épidémiologiques, adaptés au contexte de chaque province. L’objectif est que les responsables sanitaires provinciaux puissent rapidement détecter un signal et suivre l’évolution de la situation et ainsi prendre les bonnes décisions pour la santé de la population. Toute la difficulté, et c’est ce sur quoi nous travaillons avec l’IRD, est d’intégrer des données climatiques précises, en raison d’un réseau météorologique non adapté. Nous cherchons également à lever les obstacles techniques et méthodologiques qui compliquent l’accès des acteurs de la santé aux données environnementales et climatiques satellitaires.

L’objectif ultime est d’adapter les seuils de détection à la capacité de réponse du pays, et que les moyens nécessaires puissent être alloués pour contenir les risques d’épidémie. C’est pour cela qu’il faut avancer de façon prospective, réaliser des bulletins épidémiologiques chaque semaine, et former les acteurs concernés afin que les informations communiquées puissent être utiles aux autorités sanitaires.

Florian Girond : À travers le projet CISED, nous cherchons à renforcer la surveillance épidémiologique de la dengue et à favoriser une détection précoce de cette infection virale. C’est un enjeu sanitaire important dans le pays, après plusieurs épidémies successives ces dernières années. La dengue est un bon exemple de maladie très sensible aux variations climatiques, entre autres : les changements de dynamiques des températures ou de pluviométrie affectent les moustiques, vecteurs de la maladie.

La circulation du virus de la dengue nécessite une surveillance intégrée et multidisciplinaire. C’est pourquoi ce projet rassemble une large variété d’acteurs impliqués dans la surveillance de cette maladie infectieuse. Le but : s’appuyer sur une lecture collective des données pour anticiper les vagues épidémiques et permettre une détection précoce de la maladie, dans une approche « One Health », « Une seule santé ». Via une plateforme, destinée au public, des informations vérifiées et des messages clairs sont partagés à la population sur les risques, en temps réel, et sur la prévention. Pour la dengue, grâce aux données déjà existantes et aux indicateurs de changement climatique (anomalies environnementales ou caractérisation des évènements extrêmes), nous pouvons faire des prédictions d’épidémies à douze semaines.