VIH et crises humanitaires — Repenser les réponses, renforcer l’action communautaire
Les crises humanitaires – qu’il s’agisse de conflits armés, de catastrophes naturelles, de déplacements forcés – bouleversent les priorités en termes de santé publique et fragilisent le continuum de soins. Dans ces contextes, le VIH qui n’est pas considéré comme une urgence vitale immédiate tend à être relégué au second plan, malgré les conséquences graves que ces crises peuvent avoir sur les personnes vivant avec le VIH et les populations clés. Pour nourrir la réflexion sur la place de la réponse au VIH dans les contextes humanitaires, L’Initiative et l’ONUSIDA organisent un webinaire le 4 novembre. Cet évènement réunira différents acteurs engagés dans la lutte contre le VIH en Afrique de l’Ouest et du centre afin de favoriser le dialogue et de partager des perspectives sur cette thématique cruciale. Croisons les regards.
Comment une crise humanitaire modifie-t-elle l’accès aux services VIH et pourquoi le VIH est-il souvent négligé ?
Lise-Marie Le Quéré : En temps de crise, les conditions de vie dégradées et le dysfonctionnement des structures de santé rendent difficile l’accès aux services VIH. Destructions, ruptures d’approvisionnement, déplacements de population : tout concourt à fragiliser la continuité des services alors que les vulnérabilités – précarité économique, violences sexuelles et de genre — augmentent. Perçu comme une maladie chronique, le VIH est souvent ignoré dans les réponses aux urgences, surtout quand les données manquent pour montrer les besoins. Les chiffres disponibles au niveau mondial révèlent une tendance préoccupante : la part des personnes vivant avec le VIH (PVVIH) affectées par des crises humanitaires est passée de 1 sur 22 en 2013 à 1 sur 14 en 2016. Ce signal d’alerte, certainement sous-estimé aujourd’hui, rappelle qu’il ne sera pas impossible de mettre fin au sida d’ici 2030 sans répondre aux besoins des personnes touchées par les crises humanitaires – d’autant que les récentes coupes budgétaires freinent déjà l’action sur le terrain.
Jonas Fourrier : Les crises perturbent le continuum de soins à tous les niveaux — prévention, dépistage, dispensation d’antirétroviraux (ARV) et mesure de charge virale. Les personnes ne peuvent plus se rendre dans les structures de santé, les soignants peinent à se déplacer, et l’approvisionnement en produits de santé est difficilement assuré — le résultat est double : augmentation des personnes non dépistées et hausse des perdus de vue parmi les PVVIH, avec un risque réel d’aggravation de l’épidémie locale. Le caractère « chronique » du VIH joue également contre son intégration dans les réponses d’urgence : les acteurs ont tendance à se concentre sur les soins immédiats « life-saving » au détriment de la continuité thérapeutique pourtant vitale.
Quelle place stratégique jouent les acteurs communautaires en contexte humanitaire ?
Lise-Marie Le Quéré : Les acteurs communautaires sont essentiels à la réponse au VIH en contexte de crise : présents et souvent opérationnels même lorsque les systèmes formels ne fonctionnent plus, ils maintiennent le lien avec les PVVIH, retracent les personnes perdues de vue, distribuent traitements, apportent soutien psychosocial et diffusent des messages de prévention adaptés, malgré des moyens limités et des situations sécuritaires difficiles. Leur ancrage local et leur proximité avec les communautés leur permet d’atteindre les populations les plus vulnérables. Placer les communautés au cœur de la réponse et leur donner les moyens d’agir est une approche éprouvée et une priorité pour l’ONUSIDA, en cohérence avec l’agenda de localisation humanitaire.
Jonas Fourrier : Les réseaux communautaires précèdent souvent la crise sur le terrain ; ils restent mobiles et en réseau quand d’autres acteurs sont contraints. L’Initiative a mené, de 2024 à 2025, une évaluation transversale sur les « Zones difficiles d’accès » (ZDA). Cette dernière tire des leçons de nombreux projets menés en Afrique et en Asie du Sud-Est et relève que les organisations communautaires, lorsqu’elles sont appuyées de façon flexible, peuvent s’organiser, continuer leurs activités et les adapter en fonction des besoins changeants sur le terrain. Ces approches, co-construites avec et menées par les partenaires locaux, montrent que la communauté n’est pas seulement un relais mais un acteur opérationnel de première ligne.
Comment organiser concrètement la collaboration entre acteurs du VIH et acteurs humanitaires ? Quels obstacles restent à lever ?
Lise-Marie Le Quéré : Il est essentiel de créer des passerelles entre acteurs du VIH – y compris les acteurs communautaires – et ceux de la réponse aux urgences, et d’intégrer les données et expertises sur le VIH dans les systèmes d’information et de coordination humanitaires, avant et pendant les crises. Cela permet de mieux prendre en compte le VIH dans les plans nationaux de préparation aux urgences, dans l’analyse des besoins et les plans de réponse. Collaborer étroitement au sein des groupes (clusters) qui s’occupent de la santé et de la protection est une bonne porte d’entrée pour que le VIH ne soit pas oublié.
Jonas Fourrier : Sur le terrain, la collaboration passe par une communication continue via les clusters santé et par des partenariats préexistants entre acteurs communautaires, ONG et ministères. L’évaluation ZDA a par ailleurs mis en évidence la nécessité d’une approche flexible, de financements adaptables et d’un appui technique pour renforcer la capacité des organisations à base communautaire à coordonner et rendre compte — sans quoi les synergies restent faibles. Ces efforts doivent donc être menés et soutenus à tous niveau pour faciliter et pérenniser l’action des acteurs, notamment communautaires, engagés dans la lutte contre le VIH dans ces contextes complexes.
Que recouvre concrètement une « approche différenciée » en situation humanitaire ? Quelles mesures prioritaires recommandez-vous ?
Lise-Marie Le Quéré : L’approche différenciée, c’est adapter la délivrance des services aux réalités des personnes : dispensation multi-mois de médicaments, relais communautaires, points fixes ou mobiles proposant des services intégrés. En urgence, il faut privilégier les solutions qui réduisent les déplacements et garantir des voies d’approvisionnement alternatives. Ces mesures existent, mais leur mise en œuvre reste inégale et peut être freinée par des obstacles réglementaires et logistiques.
Jonas Fourrier : Concrètement, l’évaluation ZDA nous a confirmé trois priorités : (1) la flexibilité des modalités de prestation (multi-mois, relais communautaire, services intégrés) ; (2) la co-conception des réponses avec les acteurs locaux pour éviter les dispositifs « pour » les populations mais sans elles ; (3) la sécurité afin de ne pas exposer involontairement les équipes à des risques.
Quels conseils concrets pour renforcer la préparation et la résilience des organisations communautaires ?
Lise-Marie Le Quéré : Il faut reconnaître et sécuriser le rôle des organisations à base communautaire dans la gouvernance humanitaire et garantir leur accès à des appuis techniques et à des financements flexibles pour se préparer et répondre aux urgences. C’est précisément l’objectif des nouvelles lignes directrices sur le VIH en contexte humanitaire actuellement en cours de révision par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, le programme alimentaire mondial, l’ONUSIDA et l’Équipe spéciale inter-institutions sur le VIH en situation de crise : mieux intégrer les communautés et les acteurs communautaires dans les processus de coordination, de décision et d’action.
Jonas Fourrier : L’Initiative et l’ONUSIDA partagent une même vision du rôle clé des organisations communautaires, ce qui les a conduits à collaborer dans le cadre de la mise à jour lignes directrices sur le VIH en contexte humanitaire mentionnées par Lise-Marie. Si je devais formuler un conseil additionnel, ce serait de prioriser la sécurité (personnel et bénéficiaires), de se former aux questions de sûreté, de diversifier les sources de financement, et de développer des capacités de suivi-évaluation orientées vers la démonstration d’impact et de rentabilité des interventions. Ce dernier point est crucial en période de restriction des financements pour porter le plaidoyer vers des actions prioritaires et lutter efficacement contre l’épidémie. Le partage de bonnes pratiques entre organisations et le renforcement des compétences en gestion financière et en reporting sont également des leviers opérationnels essentiels.
Participez à notre webinaire
L’Initiative et ONUSIDA organisent le webinaire « VIH et crises humanitaires : Repenser les réponses, renforcer les actions communautaires » pour mettre en dialogue pratiques de terrain, recommandations et besoins.
Rendez-vous ce 4 novembre de 09h00 à 11h30 (UTC).
Inscription obligatoire.
