Le docteur Gérès Ahognon est directeur exécutif du réseau Enfants et VIH en Afrique (EVA), qui rassemble les centres de prise en charge pédiatrique du VIH dans douze pays d’Afrique francophone. Il revient sur les besoins particuliers des enfants et adolescents vivant avec le VIH et sur les actions menées par le réseau EVA pour y répondre.
Gérès Ahognon
Directeur exécutif du réseau Enfants et VIH en Afrique (EVA).
Quels sont les enjeux spécifiques de la prévention et du traitement du VIH chez les enfants ?
Dans notre région, 99 % des cas de VIH pédiatrique sont issus de transmission de la mère à l’enfant. Cette transmission a le plus souvent lieu dans les derniers mois de la grossesse, à l’accouchement ou durant les premiers mois de vie du nouveau-né durant l’allaitement. Le dépistage et suivi adéquat de la femme enceinte séropositive et du couple mère-enfant est donc important pour réduire les risques de transmission. Beaucoup d’effort sont faits en ce sens dans les différents pays à travers lesquels nous travaillons. Cependant le taux de fréquentation des services de santé maternelle et infantile reste trop faible et beaucoup de femmes séropositives manquent à l’appel ceci à cause des barrières socio-économiques, de la stigmatisation et l’offre de service de santé. De plus, même si à date, il n’est pas encore bien documenté, nous notons ces dernières années, une augmentation des transmissions chez les adolescents due entre autres à une hyperactivité sexuelle des adolescents et jeunes notamment ceux vivant avec le VIH.
Concernant le traitement, nous avons observé ces dernières années des avancées significatives dans les formulations pédiatriques des antirétroviraux, désormais optimisées et faciles à administrer, contrairement aux médicaments précédents qui posaient des problèmes de goût et de forme galénique. Cependant, les plus gros enjeux demeurent la disponibilité continue de ces médicaments, ainsi que le maintien et le suivi des enfants sous traitement. Les facteurs socio-économiques jouent également un rôle crucial, pouvant entraver l’accès aux soins et le bien-être global de l’enfant. Par ailleurs, les compétences techniques des soignants en charge du suivi, ainsi que la disponibilité et l’accessibilité des bilans paracliniques, restent des éléments déterminants.
Quelles sont les conséquences de ces manquements pour les enfants ?
Le programme des Nations unies sur le VIH-sida (ONUSIDA) a fixé trois objectifs à l’humanité pour mettre fin à l’épidémie de VIH : que 95 % des personnes atteintes de VIH connaissent leur statut, que 95 % des personnes connaissant leur statut soient traitées et que 95 % des personnes traitées avec des antiviraux aient une charge virale supprimée.
Aujourd’hui, on estime que seuls 37 % des enfants séropositifs au VIH sont connus contre 86 % chez les adultes. En matière de mise sous traitement des nouveau-nés dépistés, des progrès significatifs ont été réalisés, notamment grâce au développement de formulations pédiatriques. Nous estimons que 98 % des enfants dépistés sont traités. Sur la suppression de la charge virale, nous estimons avoir atteint la moitié de l’objectif, voire 20 % dans certains pays. Cela est principalement dû à un suivi parfois inadéquat des traitements, avec des personnels insuffisamment formés au VIH pédiatrique. De plus, le VIH est bien souvent corrélé à la pauvreté. La nutrition, l’accompagnent psychosocial et beaucoup d’autres facteurs vont influencer ce taux de suppression virale.
Quelles actions proposez-vous pour améliorer la prise en charge du VIH pédiatrique ?
Le réseau intervient à travers des activités de renforcement des capacités, de recherche-action, d’accompagnement communautaire et de plaidoyer, tant au niveau régional que dans chaque pays membre. Nous présentons les résultats de nos recherches pour mettre en exergue les problèmes d’offre de service et nous proposons aux programmes nationaux ou aux partenaires des stratégies d’actions concrètes. Ne pouvant compter uniquement sur les pédiatres – le Tchad, par exemple, n’en compte que 29, dont 27 exercent dans la capitale – notre réseau EVA cherche donc à équiper et former le personnel soignant au niveau local afin qu’il acquière les réflexes nécessaires. Par exemple, nous avons constaté sur certains sites de prise en charge que l’adaptation des posologies des ARV pour les enfants reste méconnue des soignants. Enfin, nous renforçons le lien entre les cliniciens et les communautés afin d’assurer une prise en charge globale qui ne se limite pas au seul aspect médical.
En quoi les adolescents vivant avec le VIH constituent-ils un public particulier ?
Il fut un temps où beaucoup d’enfants nés séropositifs mouraient avant l’âge de trois ans. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Ces enfants grandissent et vivent avec la maladie. Mais de cette réussite naissent de nouveaux défis, auxquels le personnel de santé est insuffisamment préparé : comment prendre en charge un adolescent qui il faut le rappeler, est différent d’un adulte, ni plus vraiment un enfant ? Dans quel service ? Comment lui annoncer sa maladie ? Comment lui transmettre les connaissances nécessaires à sa santé sexuelle ? Comment lui faire accepter qu’il doive, toute sa vie, prendre beaucoup plus de précautions que ses amis séronégatifs ?
L’adolescence est une période délicate pour tout le monde, et encore plus pour ceux vivant avec le VIH. La santé mentale des adolescents doit faire l’objet d’un suivi attentif par du personnel bien formé, capable de les écouter et de répondre à leurs questions. L’adolescence est également l’âge où les jeunes doivent quitter le service pédiatrique, où ils ont toujours été suivis et rejoindre des services d’adultes. En perdant leurs repères, ils risquent d’interrompre leur traitement, risque accentué par la lassitude de ce traitement ARV à vie. Avec le soutien de L’Initiative, nous avons donc développé le programme Transitions qui vise à améliorer l’accompagnement des adolescents vivant avec le VIH. Ce projet mis en œuvre au Sénégal et au Burkina-Faso s’achève cette année et nous espérons le développer sur d’autres pays membres du réseau EVA en Afrique de l’ouest du centre.