Le docteur Gérès Ahognon est directeur exécutif du réseau Enfants et VIH en Afrique (EVA), qui rassemble les centres de prise en charge pédiatrique du VIH dans douze pays d’Afrique francophone. Il revient sur les besoins particuliers des enfants et adolescents vivant avec le VIH et sur les actions menées par le réseau EVA pour y répondre.
Gérès Ahognon
Directeur exécutif du réseau Enfants et VIH en Afrique (EVA).
Quels sont les enjeux spécifiques de la prévention et du traitement du VIH chez les enfants ?
Dans notre région, 99 % des cas de VIH pédiatrique ont été transmis de la mère à l’enfant, lors de la grossesse ou de l’accouchement. L’accouchement est un moment critique qui doit se dérouler dans des conditions sécurisées spécifiques quand la mère vit avec le VIH. À la naissance, l’enfant doit ensuite être mis sous traitement préventif jusqu’à ses 18 mois et faire l’objet d’un diagnostic pour savoir s’il est séropositif ou séronégatif.
Dans les pays où nous travaillons, le taux de fréquentation des services de santé maternelle et infantile reste trop faible. Il est encore plus faible en matière de VIH pédiatrique. Les facteurs socio-économiques et liés à l’offre de service médical se conjuguent : le manque de matériel pour faire le diagnostic systématique des mères ; l’éloignement des centres de santé et pharmacies qui rend difficile pour les parents de chercher les traitements et de faire suivre régulièrement leur enfant ; la stigmatisation des personnes séropositives.
Quelles sont les conséquences de ces manquements pour les enfants ?
Le programme des Nations unies sur le VIH-sida (ONUSIDA) a fixé trois objectifs à l’humanité pour mettre fin à l’épidémie de VIH : que 95 % des personnes atteintes de VIH connaissent leur statut, que 95 % des personnes connaissant leur statut soient traitées et que 95 % des personnes traitées avec des antiviraux aient une charge virale supprimée.
Aujourd’hui, on estime que seuls 37 % des enfants, qui ont des chances d’être séropositifs (au vu des statistiques d’adultes séropositifs), sont dépistés à la naissance. En matière de mise sous traitement des nouveau-nés dépistés, de gros progrès ont été accomplis, notamment grâce au développement de formulations pédiatriques. Nous estimons que 98 % des enfants dépistés sont traités. Sur la suppression de la charge virale, nous estimons avoir atteint la moitié de l’objectif, voire 20 % dans certains pays. C’est principalement dû à un suivi parfois inadéquat des traitements, avec des personnels insuffisamment formés au VIH pédiatrique. De plus, le VIH est bien souvent corrélé à la pauvreté et une mauvaise alimentation nuit à l’efficacité du traitement. C’est un cercle vicieux.
Quelles actions proposez-vous pour améliorer la prise en charge du VIH pédiatrique ?
Nous présentons les résultats de nos recherches pour mettre en exergue les problèmes d’offre de service et nous proposons aux programmes nationaux ou aux partenaires des stratégies d’actions concrètes. Nous ne pouvons pas compter que sur les pédiatres : le Tchad, par exemple, n’en compte que 29, dont 27 exercent à la capitale. Notre réseau EVA cherche donc à équiper et former les médecins de campagne et des agents de santé communautaire, afin qu’ils acquièrent certains réflexes comme adapter la dose de traitement au poids de l’enfant.
En quoi les adolescents vivant avec le VIH constituent-ils un public particulier ?
Il fut un temps où beaucoup d’enfants nés séropositifs mouraient avant l’âge de trois ans. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Ces enfants grandissent et vivent avec la maladie. Mais de cette réussite naissent de nouveaux défis, auxquels le personnel de santé est insuffisamment préparé : comment prendre en charge un adolescent qui n’est pas encore un adulte, ni plus vraiment un enfant ? Dans quel service ? Comment lui annoncer sa maladie ? Comment lui transmettre les connaissances nécessaires à sa santé sexuelle ? Comment lui faire accepter qu’il doive, toute sa vie, prendre beaucoup plus de précautions que ses amis séronégatifs ?
Pour tout le monde, l’adolescence est un moment délicat, alors si on ajoute à cela le VIH, imaginez. La santé mentale des adolescents doit faire l’objet d’un suivi attentif par du personnel bien formé, capable de les écouter et de répondre à leurs questions. L’adolescence est également l’âge où les jeunes doivent quitter le service pédiatrique, où ils ont toujours été suivis et rejoindre des services d’adultes. En perdant leurs repères, ils risquent d’interrompre leur traitement, risque accentué par la lassitude de ce traitement à vie. Avec le soutien de L’Initiative, nous avons donc développé le programme Transitions qui vise à améliorer l’accompagnement des adolescents vivant avec le VIH. Ce projet s’achève cette année, après avoir été mis en place au Sénégal et au Burkina Faso. Nous allons tenter de l’étendre à 13 pays d’Afrique de l’Ouest.