Seyum Mengesha
Coordinateur des programmes de lutte contre le paludisme pour l’organisation éthiopienne Health, Development and Anti-Malaria Association (HDAMA).
Tedila Habte
Coordinateur technique pays du Malaria Consortium en Éthiopie.
En Éthiopie, les saisonnières et saisonniers itinérants, pourtant particulièrement exposés au paludisme, ne sont pas pris en compte dans les actions de lutte contre la maladie. L’organisation éthiopienne Health, Development and Anti-Malaria Association (HDAMA) et le leader mondial dans le contrôle et l’élimination du paludisme, Malaria Consortium, ont conçu un projet pour répondre aux besoins de ces travailleurs et de ces travailleuses dans la région Amhara où ils sont nombreux à accomplir chaque année des travaux agricoles. Un interview croisée de Seyum Mengesha, coordinateur des programmes de lutte contre le paludisme chez HDAMA et de Tedila Habte, coordinateur technique pays du Malaria Consortium en Éthiopie.
Où en est l’épidémie de paludisme en Éthiopie ?
Tedila Habte : La situation s’est considérablement améliorée ces dernières années. Entre 2016 et 2019, les taux de morbidité et de mortalité liés au paludisme ont respectivement diminué de 47 % et de 58 %1. En collaboration avec des partenaires internationaux, le gouvernement a conçu un plan stratégique de lutte contre le paludisme avec un objectif ambitieux mais atteignable : éliminer la maladie d’ici 2030. Le plan se décline par étapes. D’ici 2025, l’objectif est de réduire les taux de morbidité et de mortalité de moitié et, dans certaines zones, d’endiguer totalement la maladie.
Quelles sont les difficultés propres à la région Amhara où le projet sera implanté ?
Seyum Mengesha : La région Amhara est une région agricole de plaines où le paludisme reste problématique. Chaque année, de nombreux travailleurs et travailleuses itinérants des hauts plateaux viennent y travailler puis rentrent chez eux. Leur région d’origine étant exempte de paludisme, ils connaissent mal la maladie et leur immunité est faible. Aussi, ils peuvent représenter jusqu’à 80 % des cas annuels de paludisme signalés dans la région2. Le manque de services de santé près des fermes où ils travaillent aggrave la situation. Le plan stratégique éthiopien recommande la mise en place d’actions spécifiques pour ces communautés qui nécessitent une approche sur mesure, ce qui n’est pas le cas actuellement sur le terrain. La coordination de cette mise en œuvre est complexe du fait de la multitude des parties prenantes se partageant la responsabilité et les obligations, des propriétaires fermiers aux bureaux régionaux de santé. Le contexte nous a imposé de concevoir un projet dédié, soutenu par L’Initiative : « Réduire le paludisme parmi les saisonnières et saisonniers itinérants par une approche novatrice dans la région Amhara. »
Tedila Habte : Notre objectif est de réduire la morbidité et la mortalité liées au paludisme parmi les saisonniers itinérants de 30 % d’ici 2025. Nous devons améliorer la couverture et la qualité des services fournis aux populations, du diagnostic à la surveillance et à la riposte en passant par le traitement. Il est indispensable d’accroître la demande et le recours aux services de prévention et de traitement, qui restent insuffisants. En outre, nous plaidons en faveur de la diffusion d’un manuel de mise en œuvre destiné aux décideurs politiques pour améliorer la mise en place et la coordination des services de prévention et de lutte contre le paludisme pour les saisonniers itinérants. Avant de développer ce manuel, nous allons mener des actions de sensibilisation pour trouver un consensus. Enfin, nous voulons renforcer le rôle des travailleurs et des travailleuses dans l’élaboration de la lutte contre le paludisme. Jusqu’à aujourd’hui, ils n’ont jamais été impliqués dans les services de prévention et de contrôle du paludisme. Or nous ne réussirons pas sans eux.
Où en est l’épidémie de paludisme en Éthiopie ?
Tedila Habte : Nous suivons le plan stratégique national tout en adaptant notre approche aux spécificités du contexte régional. Par exemple, comme les établissements de santé sont éloignés des fermes où vivent les travailleuses et les travailleurs saisonniers, nous allons former des agents de santé pour qu’ils se rendent régulièrement sur place pour proposer diagnostics et traitements. Cette approche inédite est rendue possible par le lien étroit qu’entretient HDAMA avec les acteurs de terrain éthiopiens.
Seyum Mengesha : En effet, au fil des années, HDAMA a su gagner la confiance des communautés locales de la région et, plus particulièrement, des saisonnières et saisonniers itinérants. Mieux les connaître nous a permis de concevoir une intervention ciblée et sur mesure, de trouver la bonne approche pour les sensibiliser au paludisme et de définir les modalités d’intervention adaptées. Le renforcement des capacités des acteurs locaux est également un pilier de notre stratégie. C’est pourquoi Malaria Consortium, fort de son expertise technique, est un partenaire précieux. À quelques mois du lancement du projet, je suis convaincu que cette approche partenariale et ciblée nous apportera des enseignements importants. La guerre civile qui a récemment éclaté a entraîné de nombreux déplacements de populations à travers le pays : apprendre à adapter notre approche aux populations itinérantes est plus que jamais essentiel.
Notes et références
- FMOH, « National Malaria Elimination Strategic Plan: 2021-2025 », Addis-Abeba, août 2022.
- « Zone Health Department Annual Reports », 2021.