« La complémentarité est réelle entre le dispositif national et les acteurs communautaires face à la tuberculose au Niger. » Au Niger, les actions communautaires viennent appuyer la riposte nationale à la tuberculose. Entretien avec le docteur Alphazazi Soumana, coordinateur du programme national de lutte contre la tuberculose (PNLT), et Mohamed Haidara, directeur de l’ONG SongES qui porte deux projets financés par L’Initiative.
Quels sont les enjeux des services de lutte contre la tuberculose dans des contextes complexes comme ceux rencontrés au Niger ?
Mohamed Haidara : Le Niger est un pays de transit qui accueille beaucoup de migrants allant vers l’Europe. Ces derniers sont officiellement enregistrés dans les camps de réfugiés, mais aussi présents clandestinement sur le territoire. Compte tenu de leurs conditions de vie, ils sont particulièrement vulnérables à la tuberculose. J’ajoute que la taille du pays complexifie le déploiement des actions des programmes de lutte contre la maladie en raison des grandes distances à parcourir pour les acteurs. Certaines zones sont d’ailleurs difficilement accessibles et nos moyens sont loin d’être illimités.
Comment les appuis du Fonds mondial peuvent-ils vous permettre de répondre à ces enjeux spécifiques ?
M. H. La subvention du Fonds mondial est une réelle opportunité pour déployer des interventions. Mais son efficacité pourrait être renforcée par davantage de flexibilité dans ses procédures souvent trop contraignantes et plus d’adaptabilité en cours d’exécution. Dans un pays comme le Niger, le contexte sécuritaire peut basculer très rapidement dans certaines régions, sans que nous ayons la possibilité de réaménager le programme en conséquence.
A. S. La priorité devrait porter sur la contextualisation des programmes de lutte contre la tuberculose à la situation des pays où ils sont déployés. Cette nécessité est malheureusement trop peu prise en compte par le Fonds mondial et les programmes se ressemblent souvent d’un pays à l’autre.
Comment s’organise la riposte nationale à la tuberculose et comment s’appuie-t-elle sur les acteurs et les actrices communautaires pour dépister et traiter les cas ?
A. S. En 2022, le Niger comptait 2 000 centres de santé intégrés proches des communautés, 292 centres de dépistage pour la tuberculose sensible – par opposition à la tuberculose résistante à un ou plusieurs antibiotiques ou à certains traitements – et 4 centres de prise en charge de la tuberculose répartis sur l’ensemble du territoire. Des relais existent au plus près des malades grâce aux ONG qui mènent des actions communautaires. Elles interviennent ainsi pour sensibiliser les populations, orienter les cas suspects vers les centres de dépistage, rechercher les personnes contacts et identifier les personnes présentant une résistance au traitement. La complémentarité est réelle entre le dispositif étatique et les acteurs communautaires qui servent de relais. Le défi réside dans le nombre limité de ces acteurs et actrices communautaires et dans l’éloignement d’une grande partie de la population des centres offrant des services de détection et de prise en charge des malades.
Quelles sont les réflexions menées ou les actions entreprises pour dépasser les défis évoqués plus hauts ?
A. S. Nous élaborons actuellement un plan de contingence adapté au contexte sécuritaire de notre pays. Il s’agit d’alléger les procédures, de réadapter les stratégies et de faire émerger des actions novatrices, notamment grâce aux ONG et aux acteurs communautaires.
M. H. L’Initiative et Expertise France permettent aux acteurs et actrices de la société civile de proposer des actions complémentaires de la subvention du Fonds mondial. Ainsi, l’ONG que je dirige, SongES, a pu soumettre le projet Halartar Al’Umma porté avec nos partenaires – dont fait partie le PNLT – dans le cadre de l’appel à propositions 2020 de L’Initiative. Ce projet nous permet de renforcer notre offre de services communautaires dans les prisons, hauts lieux de promiscuité, dans des zones d’orpaillage, et de constituer des équipes mobiles en mesure de dépasser le rayon de 15 kilomètres autour des centres de santé, ce que ne permet pas la subvention du Fonds mondial.
Le second projet soutenu par L’Initiative que nous portons est mené en partenariat avec Médecins du monde Belgique. Il est dédié aux populations migrantes vivant dans des ghettos du district sanitaire d’Agadez. Il doit renforcer nos capacités à détecter la tuberculose et à prendre en charge les malades pour assurer un avenir meilleur à celles et ceux qui partiront en Europe ou décideront de retourner dans leur pays d’origine.
A. S. Ces projets sont en parfaite adéquation avec les priorités définies par le programme national. Notre défi est de parvenir à pérenniser leurs acquis. Autrement, nous risquons d’obtenir des résultats en dents de scie sans parvenir à atteindre l’objectif ambitieux de l’OMS pour 2035 : la baisse du nombre de décès de 95 % par rapport à 2015.