Focus sur les résistances aux antipaludiques et aux antiparasitaires
À l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre le paludisme, François Nosten, professeur de médecine tropicale à l’université d’Oxford et directeur de l’unité de recherche sur le paludisme de Shoklo (SMRU) en Thaïlande, revient sur la situation épidémiologique de la maladie dans la région du grand Mékong.
Asie du Sud-Est | Interview de François Nosten, directeur du SMRU
Où en est-on au terme de dix ans de financements pour lutter contre le paludisme dans la région ? Est-ce que l’on peut parler de succès ?
François Nosten : Pour répondre à cela il faut tout d’abord distinguer le paludisme à Plasmodium falciparum et celui à Plasmodium vivax.
Concernant le Plasmodium falciparum, on peut dire que la situation s’est améliorée au niveau de la mortalité et de la morbidité. Les chiffres disponibles ne reflètent pas nécessairement la réalité, néanmoins les retours de terrain (activités de recherche en épidémiologie ou en traitement, etc.) indiquent bien une diminution du nombre de cas. Cela dit, il persiste une aggravation de la résistance, au Cambodge par exemple les souches de Plasmodium falciparum sont plus multirésistantes aujourd’hui qu’il y a dix ans voire vingt ans, on observe donc à la fois moins de cas, mais des foyers parasitaires plus résistants. On ne peut pas parler de « succès ». S’il n’y avait plus du tout de Plasmodium falciparum on pourrait parler de succès.
Concernant le Plasmodium vivax, il existe toujours beaucoup d’infections dans la région du Mékong et plus généralement en Asie et en Inde. C’est un parasite plus compliqué à éliminer.
En conclusion, on peut dire que les investissements ont eu un impact, mais le problème du paludisme en Asie du Sud-Est existe toujours. Nous avons appris de l’histoire du paludisme, c’est une maladie qui peut tout à fait revenir soudainement avec des effets très importants, cela a déjà été observé dans le passé, il faudrait se garder de crier victoire trop tôt car le constat est mitigé.
Est-ce qu’on peut dire que finalement « le dernier kilomètre » pour vaincre cette maladie est le plus dur à atteindre ?
F. N. : Il faut se méfier de l’image du « dernier kilomètre ». Au cours des dernières années j’ai eu plusieurs fois l’impression d’être au dernier kilomètre, finalement il faut continuer les efforts jusqu’à ce que la bataille soit gagnée. Avec les contextes politiques et la crise de Covid-19, il y a un potentiel de résurgence des épidémies et de redémarrage de la transmission, il va falloir continuer à travailler pendant encore plusieurs années.
En Thaïlande par exemple, il y a peu de chance de voir le Plasmodium falciparum revenir avec une épidémie dévastatrice dans les cinq prochaines années, mais ce n’est pas uniquement parce que « le dernier kilomètre » a été parcouru, c’est aussi parce que le système de santé thaïlandais est beaucoup plus efficace que les pays voisins. Si toutefois un problème surgissait sur l’une des frontières, il serait assez rapidement circonscrit. En revanche le Cambodge, le Laos, et le Myanmar restent à surveiller.
Au Myanmar, dans l’État Karen, le programme d’élimination du Plasmodium falciparum a montré des résultats très prometteurs les premières années avant de ralentir brusquement. On court après les derniers foyers, les derniers cas, on a donc la sensation d’être proche du but, mais avec le contexte géopolitique et la crise de Covid-19, le potentiel de résurgence reste préoccupant, et il faudra travailler pendant encore plusieurs années, le dernier kilomètre est loin d’être atteint.
Heureusement il y a des progrès et des avancées, nous avons appris beaucoup de choses sur le paludisme dans la région, nous avançons dans la bonne direction, mais il est encore trop tôt pour crier victoire.
Qu’est-ce qui fait que le Plasmodium vivax est si différent du Plasmodium falciparum ?
F. N. : Le plasmodium vivax a un stade supplémentaire dans son cycle que le Plasmodium vivax n’a pas, il s’agit d’un stade hépatique complètement silencieux. Les gens infectés peuvent rester avec le Plasmodium vivax à ce stade pendant des mois, voire des années sans symptômes. Il n’y a pas de marqueurs, ni de diagnostic ou de test qui nous permettent de distinguer les personnes atteintes de Plasmodium vivax au stade hépatique. Il existe une autre complication, ce stade hépatique de la maladie ne peut être soigné qu’avec l’usage d’un seul médicament, la primaquine, qui est très mal tolérée chez une partie de la population, ce qui fait qu’elle ne peut pas être administrée en grande quantité à tout le monde.
Pour ces raisons, le Plasmodium vivax est donc plus difficile et beaucoup plus long à éliminer que le Plasmodium falciparum.
Même si le taux de mortalité est plus faible que le Plasmodium falciparum, le plasmodium vivax reste une maladie parasitaire invalidante, et qui provoque des fausses couches chez les femmes enceintes. Son impact sur la société n’est pas nul.
Quelle est la situation du paludisme au Myanmar aujourd’hui ? Quels sont les risques à craindre ?
F. N. : On ne connaît pas réellement la situation du paludisme dans le pays. Dans cette situation où les structures sanitaires sont dégradées, les communications altérées et les approvisionnements compromis, il y a le risque que les infections repartent à la hausse étant donné que la population ne peut pas se faire dépister, ni être traitée, ni protégée. Il se pourrait qu’une épidémie de Plasmodium falciparum apparaisse lors de la prochaine saison des pluies, mais cela ne veut pas dire que nous en serons informés.
Par ailleurs, un risque de reprise épidémique n’est pas à exclure au Viêt Nam et au Cambodge car si la résistance aux traitements continue de progresser, le nombre d’infections pourrait repartir à la hausse comme dans les années 1990. De nombreux observateurs et observatrices travaillent sur la question dans ces pays, et des signaux précurseurs seraient détectés. De plus, il existe des solutions thérapeutiques comme les ACT (Artemisinin-based Combination Treatment), comportant de l’artémisinine, et des études sont aujourd’hui menées sur des triples combinaisons thérapeutiques.
| Pour aller plus loin : « The Mekong Malaria Elimination Programme », bulletin 10, mars 2022.
François Nosten, professeur de médecine tropicale à l’université d’Oxford et directeur de l’unité de recherche sur le paludisme de Shoklo (SMRU) en Thaïlande. Plus d’informations.
Djibouti | Renforcer les capacités de détection et de traitement
Alors qu’en 2012 Djibouti avait atteint le stade de préélimination du paludisme, le pays connaît depuis 2013 une forte recrudescence des cas de paludisme : de 24 cas de paludisme confirmés en 2012, le pays est passé à près de 50 000 cas en 2019.
Pour être en mesure de traiter ce problème complexe de recrudescence, le suivi de la résistance aux premières lignes de traitement est crucial. En effet, bien que minoritaires, des parasites résistants apparus initialement en Asie du Sud-Est au cours des années 2000 ont été détectés récemment au Rwanda et en Ouganda, ce qui fait craindre leur diffusion progressive dans la région.
L’Initiative a été sollicitée par le Programme national de lutte contre le paludisme (PNLP) de Djibouti pour appuyer la réalisation d’une étude d’efficacité thérapeutique, assortie de la formation de techniciens de laboratoires au séquençage.
Partenaire : Programme national de lutte contre le paludisme (PNLP) de Djibouti.