Le DATP Mauritanie, engagé contre le paludisme
L’Afrique subsaharienne est lourdement touchée par le VIH/sida, la tuberculose et le paludisme, des fléaux sanitaires persistants auxquels les systèmes de santé nationaux peinent souvent à répondre efficacement. En Mauritanie, l’absence de personnel qualifié, d’infrastructures sanitaires adéquates ou encore d’approvisionnement suffisant en médicaments freine la lutte contre ces maladies. Pour remédier à cette situation critique, le dispositif d’assistance technique planifiée (DATP) a été déployé en 2021 avec l’appui de L’Initiative, de manière à renforcer les capacités nationales contre ces pandémies, dont le paludisme. Cette dernière demeure la première cause de consultation médicale durant les périodes de haute transmission et a touché plus de 212 000 personnes en 2022. La lutte antipaludique est l’une des priorités d’action de ce dispositif. La Dre Chanelle Muhoza, experte résidentielle pour le DATP, revient sur ce dispositif et sur ses actions concernant le volet paludisme.
Quel est le contexte de l’appui de L’Initiative, notamment via le dispositif d’assistance technique planifié (DATP) en Mauritanie ?
Le paludisme est la cinquième maladie la plus mortelle dans le pays. Sa transmission est saisonnière, lors de la saison des pluies de juillet à octobre, et se concentre dans les régions du Sud et du Sud-Est. Dans la lutte contre cette pandémie, nous rencontrons plusieurs grands défis. L’approvisionnement en tests et en médicaments est l’un d’entre eux, dans ce grand pays qu’est la Mauritanie – près de deux fois la France. Malgré les efforts, les ruptures de stock sont fréquentes. Dans ces conditions, il est difficile d’assurer un suivi du dépistage et de la prise en charge de la maladie. Un autre grand défi concerne la remontée des données relatives à la maladie, tant pour son incidence et sa prévalence que pour le travail des ressources humaines en santé sur le terrain.
Pour améliorer cette situation et renforcer la mise en œuvre des subventions du Fonds mondial dédiées à la lutte contre le paludisme – 10 millions de dollars –, le gouvernement mauritanien a fait appel à Expertise France, et le DATP a vu le jour en 2021.
À l’époque, l’équipe en charge du déploiement de ces subventions était très réduite, les activités de suivi et d’évaluation peu développées. Les interventions d’experts étaient « perlées », c’est-à-dire épisodiques. Cette situation pouvait se traduire par une discontinuité dans la mise en œuvre des activités. J’ai intégré le DATP en décembre 2022 pour y être experte résidentielle paludisme et team leader. Devenu un dispositif de soutien technique d’envergure du ministère de la Santé, le DATP a à son actif un expert tuberculose, un expert VIH, ainsi que du personnel administratif et financier, qui s’investit en permanence dans la lutte contre les trois maladies et pour le renforcement du système de santé.
Quel a été votre parcours avant de rejoindre ce dispositif ?
Je suis médecin généraliste de formation. À la fin de mes études, j’ai travaillé dans plusieurs hôpitaux régionaux au Burundi. J’ai ensuite exercé au sein du Programme national de lutte contre le paludisme (PNLP) dans le pays. Puis, j’ai fait un master en santé publique, notamment dédié à la gestion des programmes de santé. J’ai mené des missions de consultance pour appuyer plusieurs pays, comme le Cameroun, la Centrafrique, le Congo-Brazzaville, etc. Ces expériences m’ont menée à postuler à l’offre de L’Initiative et à devenir experte résidentielle pour le DATP Mauritanie.
En tant qu’experte résidentielle, quel est votre rôle au sein du DATP ?
Depuis mon arrivée, j’œuvre à l’amélioration de la transmission de données, tant sur leur qualité que leur quantité. Ces données sont essentielles pour améliorer l’efficacité de la mise en œuvre des subventions du Fonds mondial. En 2022, seuls 43 871 cas de paludisme étaient recensés en Mauritanie : le sous-diagnostic était prégnant ; en 2024, 81 747 cas de paludisme ont été notifiés par les formations sanitaires du pays. Cette amélioration de la précision des données nous permet d’avoir une meilleure perception de la maladie et de prendre des décisions adaptées aux besoins réels.
J’apporte un soutien technique dans la mise en œuvre des stratégies prioritaires de lutte, notamment les campagnes de chimio-prévention saisonnière du paludisme (CPS), celles de distribution de moustiquaires, ainsi que les supervisions et l’élaboration des référentiels nationaux liés au paludisme. Nous effectuons ainsi un travail de prévention plus efficient et pouvons améliorer la prise en charge, en offrant des soins rapidement.
Nous avons travaillé également à la réorientation des actions en interne pour faire du DATP une structure d’envergure. Le dispositif appuie pleinement les programmes de santé financés par le FM, et répond aux priorités nationales du moment. Par exemple, à mon arrivée, j’ai constaté que la molécule utilisée dans le cadre de la CPS n’était pas appropriée, car non conforme aux recommandations de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). Ce point ne figurait pas initialement dans notre plan d’action, mais nous avons l’ajouté à la révision des directives paludisme afin de permettre au pays de s’aligner sur les recommandations mondiales. Cette capacité d’adaptation concerne l’ensemble des maladies ciblées par le DATP. L’équipe ajuste ainsi rapidement son appui technique et stratégique, en fonction des besoins exprimés par les Programmes nationaux, que ce soit en matière de VIH, de tuberculose ou de paludisme. Nos appuis sont conçus pour rester flexibles et répondre de manière réactive aux priorités évolutives du pays.
En qualité de team leader, je tiens également à souligner que ce travail de renforcement du système de santé est conduit de manière transversale, par l’ensemble des experts du DATP – qu’il s’agisse du VIH, de la tuberculose, de la gestion des approvisionnements et des stocks ou de la santé communautaire, en appui au ministère de la Santé et aux instances de coordination du Fonds mondial (FM). L’équipe du DATP accompagne la mise en œuvre des subventions du FM pour les trois maladies et assure un suivi continu de la performance des indicateurs contractuels. Par ailleurs, la santé communautaire occupe désormais une place centrale dans notre accompagnement, notamment à travers l’implication des agents de santé communautaire (ASC) dans la lutte contre le paludisme, ainsi que le soutien aux organisations de la société civile.


Pourriez-vous nous présenter le changement de cap stratégique opéré par le PNLP ?
Depuis 2021, le PNLP avait identifié, dans son plan stratégique, les régions du Nord (Tiris Zemmour, Dakhlet Nouadhibou, Adrar et Inchiri) comme éligibles à l’élimination du paludisme, sans qu’aucune action concrète ait été entreprise sur le terrain. En 2024, un processus devant conduire à l’élimination a été amorcé. Ce changement de cap s’est concrétisé non seulement par le désir de faire évoluer le nom du programme – désormais envisagé comme Programme national pour l’élimination du paludisme (PNEP) –, mais également par l’élaboration d’un projet d’élimination du paludisme et la production de premiers documents stratégiques. En tant qu’experte paludisme au sein du DATP, j’ai accompagné ce virage stratégique en contribuant à la formulation du projet d’élimination et à l’élaboration des documents clés. L’objectif est de commencer les interventions concrètes dans les quatre régions du Nord ainsi que dans trois régions (Nord, Ouest et Sud) de la capitale, Nouakchott, avant d’élargir progressivement la démarche aux autres zones du pays.
Quel travail menez-vous avec les différents partenaires ?
Nous accompagnons les équipes du PNLP auprès desquelles nous réalisons du mentorat et des formations. Au quotidien, je suis également en contact avec le chargé de programme paludisme au sein du bureau de l’OMS à Nouakchott, ainsi qu’avec la responsable de la prise en charge communautaire à l’Unicef. Nous faisons régulièrement des réunions de coordination entre partenaires. L’idée est de se concerter afin d’améliorer les activités et de maximiser leur impact. Nous sommes bien sûr en contact fréquent avec L’Initiative qui, outre un appui financier, nous accompagne sur certains aspects techniques.
Nous appuyons également la révision des directives nationales de lutte contre le paludisme. À mon arrivée, en 2022, les recommandations de l’OMS en matière de paludisme n’étaient pas pleinement appliquées. Elles le sont davantage aujourd’hui, et nous comptons former nos partenaires à ces nouvelles directives. Enfin, nous participons à la formation des ressources humaines en santé, notamment les sage-femmes. Nous attirons leur attention sur l’usage des moustiquaires pour les femmes enceintes et sur l’importance du traitement préventif pendant la grossesse. C’est l’occasion également pour mon collègue en charge du VIH au DATP de sensibiliser à cette autre maladie.

Quelles actions emblématiques ont été déployées par le DATP ?
En 2022, le DATP a appuyé l’organisation de la première campagne de CPS. Cette stratégie consiste à administrer des médicaments contre le paludisme aux enfants entre trois et neuf mois très vulnérables à la maladie, pour prévenir ses formes les plus graves. Pendant la période de transmission, les ASC rencontrent 3 à 4 fois les familles pour distribuer les antipaludiques. Nous avons poursuivi ces campagnes en 2023 puis en 2024, dans 7 districts du pays. Depuis mon arrivée, nous veillons à ce que les ASC nous remontent les données du terrain, principalement via la plateforme nationale, le DHIS2, pour améliorer la préparation de ces campagnes, leur planification et leur réalisation. Les informations recueillies ont montré qu’après le premier passage des ASC – marqué par une forte affluence –, beaucoup de parents ne revenaient pas récupérer les médicaments. Or, il est crucial d’avoir un suivi régulier pour assurer l’efficacité de la CPS. Les données nous ont permis de cerner le problème et d’agir pour le résoudre. Nous sommes allés à la rencontre des familles, ménage par ménage, pour les sensibiliser et assurer le suivi du traitement. Nous avons également renforcé la communication. Des équipes mobiles ont été déployées pour toucher les habitants les plus éloignés. Un autre dysfonctionnement que nous avons relevé est le manque d’anticipation dans la gestion des ruptures de stock ; nous tentons d’y remédier grâce aux données dont nous disposons.
Un autre pan de notre action concerne la distribution de moustiquaires imprégnées d’insecticides à longue durée d’action. Une distribution d’envergure a été organisée en 2023 dans huit régions endémiques du Sud et du Sud-Est – la prochaine aura lieu en 2026. Cette dernière campagne a été organisée par les agences onusiennes, notamment le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). Nous les avons appuyées depuis la phase pré-analytique jusqu’à la mise en œuvre. Pendant dix jours, nous avons estimé le nombre de personnes vivant dans les ménages, avant la distribution, qui a elle-même duré quatre jours. Chaque personne s’est présentée ensuite avec un bon où sont indiqués son nom et le nombre de moustiquaires. Des agents de santé sensibilisaient à leur utilisation. Plus d’un million et demi de moustiquaires ont été ainsi distribuées sur des sites pré-identifiés. Ces différentes actions mises en œuvre par le DATP permettent de renforcer le système de santé mauritanien et d’accélérer la lutte contre le paludisme.