La Fondation Mérieux a dirigé une étude de recherche opérationnelle en partenariat avec le Centre Pasteur du Cameroun et l’Institut Pasteur de Madagascar. L’objectif : concevoir une politique de dépistage et de gestion de l’infection tuberculeuse latente qui soit efficace, durable et adaptée aux réalités socioéconomiques des deux pays.
Cofinancé par L’Initiative et la Fondation Mérieux, le projet APRECIT (Amélioration de la Prise En Charge de l’Infection Tuberculeuse) a été mené entre janvier 2021 et décembre 2023 à Madagascar et au Cameroun en partenariat avec les programmes nationaux de lutte contre la tuberculose de ces deux pays et des structures à base communautaire. Son but principal était d’évaluer les différentes stratégies de dépistage et d’améliorer la gestion de l’infection tuberculeuse latente.
Prévenir et traiter l’infection tuberculeuse latente : une priorité mondiale
Pour atteindre les objectifs de la stratégie END-TB visant à réduire drastiquement la mortalité et l’incidence de la tuberculose d’ici 2035, l’Organisation mondiale de la santé préconise de prévenir, diagnostiquer et traiter les deux formes de tuberculose : la tuberculose maladie et l’infection tuberculeuse latente. La première est la forme active de la maladie, généralement symptomatique, contagieuse et potentiellement mortelle, tandis que la seconde se manifeste de manière asymptomatique ou silencieuse, constituant un réservoir propice à l’apparition de cas de tuberculose active.
« Un quart de la population mondiale serait porteur de Mycobacterium tuberculosis sans le savoir et environ 10 % de ce foyer silencieux développeront une tuberculose maladie au cours de leur vie »
Jonathan Hoffmann, chercheur à la Fondation Mérieux, missionné sur le projet APRECIT.
Actuellement, il demeure difficile de prédire chez qui l’infection latente à la tuberculose évoluera vers une forme active. Par conséquent, « il est crucial d’administrer le traitement préventif de la tuberculose aux personnes les plus vulnérables, en particulier les enfants de moins de 5 ans, les personnes vivant avec le VIH et les cas contacts, à savoir les personnes qui sont en contact direct avec les malades de la tuberculose. »
La prévention de la tuberculose latente se heurte cependant à de nombreux obstacles, organisationnels ou socioculturels. Le chercheur identifie les raisons de ce point aveugle des programmes de lutte : « du fait de son invisibilité, les programmes nationaux ne positionnent pas la tuberculose latente comme une priorité de santé publique et les enquêtes d’entourage, nécessaires pour identifier les populations à risque, ne sont pas systématiquement effectuées ». Ces enquêtes permettent de surveiller les cas intrafamiliaux et intradomiciliaires, ceux qui sont en contact direct avec le patient zéro (ou « cas index »), c’est-à-dire le premier cas identifié au sein d’une communauté. « Vivre avec un individu atteint de tuberculose active accroît considérablement le risque d’infection pour les autres membres du foyer, ajoute Jonathan Hoffman. Mais il est déroutant et contre-intuitif pour les patients atteints d’infection tuberculeuse latente de prendre un traitement long et lourd (plusieurs molécules pendant plusieurs mois avec effets secondaires), alors qu’aucun symptôme ne s’est jamais déclaré ».
APRECIT : une étude de recherche opérationnelle appuyée sur un modèle d’intervention communautaire
C’est précisément pour définir une politique de dépistage et de prise en charge de l’infection tuberculeuse latente coût-efficace, pérenne et adaptée aux contextes socio-économiques de Madagascar et du Cameroun, deux pays à incidence trop élevée de tuberculose, que le projet APRECIT a été imaginé. Pour ce faire, la Fondation Mérieux a coordonné une recherche opérationnelle avec le Centre Pasteur du Cameroun et l’Institut Pasteur de Madagascar en s’appuyant sur un modèle d’intervention communautaire.
L’étude a commencé par l’identification des « cas index » de tuberculose maladie dans les hôpitaux et les centres de dépistage et de traitement de la tuberculose à Antananarivo et à Yaoundé. À partir de chaque « cas index » de tuberculose maladie ayant consenti à participer à l’étude APRECIT, un binôme – composé d’un infirmier et d’un agent communautaire pour la recherche active de cas (ACRA) au Cameroun ou d’un attaché de recherche clinique (ARC) à Madagascar – était chargé de réaliser une enquête d’entourage au sein du foyer. Un dépistage actif de l’infection tuberculeuse latente était ensuite réalisé auprès des contacts intradomiciliaires à l’aide de tests. L’étude en a comparé deux : le test intra dermo réaction (IDR) à la tuberculine (réalisé au bout du bras, avec lecture du résultat 72 heures après) et le test IGRA (sur sang total).
Deux agents communautaires pour la recherche active de cas (ACRA) ont accompagné une famille de bénéficiaires du quartier d’Oyomabang, à Yaoundé, sur toute la durée du traitement de la tuberculose.
Les binômes infirmier/agent de santé assuraient également une sensibilisation des familles à la tuberculose et aux mesures de prévention préconisées au niveau national. En cas de doute, une assistance hospitalière était proposée aux familles : les consultations se font rarement spontanément, entre autres à cause d’une forte appréhension des coûts financiers associés à une prise en charge hospitalière. Par la suite, un suivi régulier était assuré pour chaque famille bénéficiaire, avec une transition prévue vers les infirmiers et infirmières des établissements de santé locaux.
Des témoignages encourageants des malades et de leurs proches
Dans chaque pays, 1 250 contacts proches de personnes atteintes de tuberculose active ont été recrutés pour l’étude. Tous les participants volontaires ont été suivis 24 mois durant. C’est le cas d’une famille résidant à Oyomabang, un quartier difficile d’accès à la périphérie ouest de Yaoundé, au Cameroun. Alertée par les toux de plus en plus violentes et la perte rapide de poids de son fils, une mère de famille a conduit son aîné au centre de santé du district lorsque le garçon a commencé à cracher du sang, signe d’un stade avancé de la maladie. C’est là que leur parcours a croisé celui du projet APRECIT. Une relation de confiance s’est établie entre la famille et le binôme d’ACRA. Tout au long du suivi, le même binôme effectuait à domicile des dépistages réguliers, surveillait l’état de santé de ses membres et prodiguait des conseils pratiques pour éviter la contamination intrafamiliale. Leur soutien psychologique et émotionnel s’est avéré crucial, car la maladie a isolé la famille, stigmatisée par son entourage, un phénomène courant dû au manque de connaissances sur les réalités de cette maladie.
« Enfin, un programme qui a fonctionné et apporté des résultats concrets ! »
Comme elle, une autre bénéficiaire du programme a grandement apprécié la venue des ACRA à domicile : « Cela nous a permis d’économiser les frais de déplacement, étant donné nos faibles moyens. Même s’il y a des agents de santé communautaire polyvalents dans nos quartiers, ils ne bénéficient pas de la même organisation que celle mise en place par le projet avec les ACRA. »
Rencontre de la famille bénéficiaire du projet accompagnés, de la chercheuse en anthropologie médicale Janina Kehr et de la chargée du projet APRECIT du Centre Pasteur du Cameroun, Verlaine Mbouchong.
Des acquis en termes de pratiques
Au total, le projet APRECIT a permis de prendre en charge 43 personnes atteintes de tuberculose maladie, dont certaines n’auraient peut-être pas été diagnostiquées sans l’intervention. 2 084 individus (513 cas index et 1 571 contacts intradomiciliaires) ont bénéficié d’une amélioration significative de leur qualité de vie. 197 personnes vulnérables (enfants de moins de 5 ans et personnes vivant avec le VIH) ont été prises en charge dans le cadre du projet. Environ 30 % ont refusé le schéma thérapeutique préventif proposé. Les ACRA/ARC témoignent que l’accompagnement personnalisé de chaque sujet contact renforce la confiance dans le dispositif et augmente l’acceptabilité du traitement préventif. Une stratégie impliquant d’anciens malades ou des personnes ayant reçu le traitement préventif pourrait améliorer l’accompagnement des familles confrontées à la tuberculose.
En matière de compétences sanitaires, plus de 50 personnes ont été formées à l’intervention communautaire et à la réalisation des tests de dépistage de l’infection tuberculeuse latente. Ces résultats prometteurs mettent en évidence l’importance d’intégrer pleinement la santé communautaire dans les programmes nationaux de lutte contre la tuberculose. « Malgré la peur de contracter la maladie et l’appréhension du temps dédié à ce travail bénévole, nous avons maintenant une compréhension approfondie de la tuberculose et des mesures de prévention à instaurer au sein des foyers », expliquent deux femmes camerounaises ACRA volontaires dans le cadre du projet. Pour elles, garantir la continuité des soins entre les familles et les centres de santé est d’une importance capitale pour le suivi des patients, en particulier en matière d’observance des traitements. Mais les agents communautaires font face à de nombreux défis, car établir la confiance nécessite un travail constant de pédagogie et de patience :
« Convaincre les patients de poursuivre leur traitement et les inciter à accepter les visites de suivi même après la disparition des symptômes n’est pas toujours facile. »
De fait, si le traitement est désormais gratuit au Cameroun, le suivi et les examens post-infection ne le sont pas.
Malgré ces limites, le croisement des données entre Madagascar et le Cameroun a notamment permis de développer une biobanque d’échantillons biologiques de chaque participant à l’étude. Depuis 2023, dans le cadre de la deuxième phase du projet (APRECIT-BIS), financée par l’ANRS-MIE, ces échantillons sont analysés par trois approches innovantes de dépistage de l’infection tuberculeuse latente. Toutes trois sont prometteuses et présentent des caractéristiques intéressantes pour un déploiement à large échelle. Elles pourraient permettre aux autorités sanitaires d’identifier plus précisément les bénéficiaires potentiels du traitement préventif de la tuberculose et de prévenir l’évolution d’une infection tuberculeuse latente vers une tuberculose maladie.
Tuberculose : les voix de la recherche
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