Les docteurs Hélène Rossert et Abdoulaye Sidibé Wade ont participé aux évaluations des projets de L’Initiative sur les enjeux « Populations clés » (2014-2018) et « Populations marginalisées » (cycle 2016-2020). Les deux experts insistent sur la nécessité de mieux capitaliser sur les projets financés par L’Initiative pour en tirer des pratiques applicables à plus grande échelle.
Comment procédez-vous pour évaluer les projets de L’Initiative ?
Abdoulaye Sidibé Wade : Chaque projet est d’abord évalué individuellement. Pour ce faire, nous nous appuyons sur une note de cadrage et nous appliquons des plans d’évaluation détaillant la méthodologie utilisée et les techniques de collecte de données. Notre accès au terrain pour les évaluations des projets financés entre 2016 et 2020 a été perturbé par l’épidémie de Covid-19. Mais dans la mesure du possible, nous nous rendons régulièrement sur place auprès des porteurs de projets avec lesquels nous élaborons et partageons nos analyses. Ce mode de travail collaboratif est très important pour qu’ils soient en accord avec nos recommandations finales.
Hélène Rossert : Ensuite, une analyse transversale des résultats est menée pour dégager des leçons de l’expérience accumulée et identifier les meilleures pratiques. Sur le dernier cycle d’évaluation, un atelier de construction des recommandations a été organisé, réunissant les experts, L’Initiative, les membres du comité de pilotage et les porteurs de projets. Cet exercice inédit pour L’Initiative a eu le mérite d’aboutir à la formulation de recommandations compréhensibles par tous, facilement appropriables par les principaux concernés et – nous l’espérons – utiles aux prochaines générations de porteurs de projets.
Quels projets vous ont semblé particulièrement remarquables et intéressants en termes de capitalisations ?
H. R. Le projet porté en Ukraine par l’ONG AIDS Foundation East-West (AFEW-Ukraine), qui a pour objectif de contribuer à la diminution du taux de VIH parmi les adolescents usagers de drogue et leurs partenaires sexuels, fait partie des projets les plus marquants. C’est une belle réussite, notamment en matière d’adhésion des populations concernées.
A. S. W. C’est aussi le cas du projet porté par Humanity & Inclusion (anciennement Handicap international) au Sénégal et en Guinée-Bissau. Il a eu le mérite d’ouvrir l’offre de santé aux personnes vivant avec un handicap, mais également de mobiliser cette population et de faire reconnaître sa vulnérabilité face au VIH-sida. Au-delà de la prévention des infections, ce projet a permis de les resociabiliser et de leur faire prendre conscience de leurs droits.
H. R. On peut aussi citer le projet mené en Afrique de l’Ouest par l’Institut de recherche pour le développement et plusieurs organisations locales. Extrêmement novateur, il a obtenu des résultats très probants. Il s’agissait de proposer une prophylaxie pré-exposition (PrEP) aux hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes pour réduire significativement l’incidence du VIH au sein de cette population clé. Certains pays de la région ont d’ores et déjà intégré le principe de la PrEP dans leur politique nationale de lutte contre le sida, mais la capitalisation organisationnelle et institutionnelle pour la montée en charge de cette intervention devra être réalisée.
Comment L’Initiative pourrait-elle encore renforcer la qualité des projets qu’elle finance ?
H. R. Augmenter les partenariats et prévoir en amont une meilleure coordination avec les systèmes de santé publique sont des aspects à consolider. De façon générale, nous souhaiterions que L’Initiative renforce le caractère catalytique de son action. Elle finance des projets dont l’ambition peut paraître modeste eu égard aux financements débloqués par le Fonds mondial. Pour autant, ce sont des projets bien ciblés qui éclairent souvent de façon novatrice un aspect des enjeux, notamment dans l’attention portée aux populations clés et aux groupes vulnérables.
A. S. W. Selon nous, l’effort doit vraiment porter sur la capitalisation – ce qui a réussi, ce qui n’a pas réussi et pourquoi – pour tirer profit des bonnes pratiques mises en œuvre dans les projets. Cela permettrait de créer des modèles réplicables qui rendent ensuite possible le passage à l’échelle. Ce diptyque capitalisation-modélisation doit s’inscrire dans l’ADN de L’Initiative. Les projets qu’elle finance deviendraient ainsi parfaitement complémentaires de ceux financés par le Fonds mondial.
Les docteurs Hélène Rossert et Abdoulaye Sidibé Wade ont participé aux évaluations des projets de L’Initiative sur les enjeux « Populations clés » (2014-2018) et « Populations marginalisées » (cycle 2016-2020). Les deux experts insistent sur la nécessité de mieux capitaliser sur les projets financés par L’Initiative pour en tirer des pratiques applicables à plus grande échelle.
En quoi la prise en compte des populations clés et marginalisées est-elle essentielle dans la lutte contre les trois pandémies ?
H. R. Les populations clés et vulnérables sont les plus susceptibles d’être exposées au VIH, à la tuberculose ou au paludisme. C’est au sein de ces populations qui ont le moins accès au système de santé que la dynamique épidémique est la plus importante. Socialement marginalisées, elles subissent de fait des discriminations et des stigmatisations liées en particulier à leur orientation sexuelle.
A. S. W. D’où la nécessité de soutenir les programmes qui les impliquent dans l’élaboration et la mise en œuvre des services de santé. Il est fondamental de les faire participer aux décisions de politiques publiques qui les concernent en matière de prévention et d’accès aux soins ainsi que sur les questions de formation des professionnels de santé. Et dans ce domaine très empirique, quand quelque chose a fonctionné, il faut capitaliser sur la méthode pour essayer de la généraliser.