Cyril Caminade est formateur invité à l’occasion de la formation « Changement Climatique et Paludisme » organisée par L’Initiative au Rwanda, à destination des Programmes Nationaux de Lutte contre le Paludisme (PNLP) d’Afrique. A l’occasion de la journée mondiale du Climat, il revient avec nous sur l’impact du changement climatique sur l’évolution du paludisme.
Cyril Caminade
Chercheur spécialiste de l’impact du climat sur l’évolution des maladies infectieuses vectorielles au centre international de Physique Théorique (Trieste, Italie) et chercheur honoraire à l’unversité de Liverpool.
Comment un climatologue en vient-il à s’intéresser à l’évolution des maladies vectorielles, et notamment du paludisme ?
Comme de nombreuses maladies, notamment infectieuses, le paludisme est sensible au climat. Le risque épidémique varie en fonction de la température et de l’humidité ambiante. Il s’agit d’une maladie vectorielle c’est-à-dire transmise par un arthropode, généralement un insecte, qui ne régule pas sa température interne. Dans le cas du paludisme, le vecteur est un moustique anophèle, infecté par un parasite appelé Plasmodium. En piquant, le moustique qui vit sans problèmes avec le parasite, transmet le Plasmodium à l’homme qui lui, tombe malade.
La température ambiante impacte le cycle de vie du moustique : elle accélère son cycle de ponte, module le développement aquatique des larves et le développement aérien de l’insecte. La femelle a besoin du sang humain pour se reproduire, pondre ses œufs. Si l’on compare le moustique à une seringue volante, le temps pour que le sang devienne infectieux à l’intérieur de la seringue est fortement dépendant de la température extérieure. En dessous de 18 à 20° la reproduction du parasite (sporogonie) n’a pas lieu dans le moustique. Dans ce cas, il ne transmettra pas le parasite du paludisme.
La saisonnalité est également une variable très importante car le paludisme suit la dynamique des précipitations. Les larves d’anophèle se développent dans les eaux stagnantes et notamment les mares temporaires et les flaques d’eau. Un climat chaud et humide réunit donc toutes les conditions nécessaires pour que les moustiques mais aussi les parasites dont ils sont porteurs se reproduisent plus vite et en plus grand nombre . Au Sénégal par exemple, les cas de paludisme sont essentiellement rapportés entre septembre et octobre juste après la saison des pluies (de juillet à septembre). La même dynamique est observée dans une bonne partie de la région Sahélienne en Afrique de l’Ouest, au sud du Mali et du Niger, en Guinée, au Burkina Faso, etc… alors que dans les pays proches de l’équateur à l’est de l’Afrique subsaharienne, en Tanzanie, Kenya, Éthiopie, il y a deux saisons des pluies et deux pics de paludisme.
Si la température est trop élevée et les conditions sont sèches (zone saharienne) ou trop basses (en altitude) les moustiques meurent. C’est pourquoi jusqu’à récemment il n’y’avait pas ou peu de transmission sur les hauts plateaux d’Afrique en Ethiopie, Rwanda, Kenya, Éthiopie, Madagascar. Désormais, avec la hausse des températures, les moustiques ont fait leur apparition sur ces plateaux et le paludisme pourrait s’y développer et affecter des populations peu exposées historiquement. L’étude du climat permet donc, au moins partiellement, de prédire la survenue d’épidémies de maladies vectorielles, voilà pourquoi un climatologue peut être amené à travailler sur le paludisme.
Quelles sont les conséquences potentielles du changement climatique sur les épidémies de paludisme ?
Sous l‘effet des activités humaines et des gaz à effet de serre produits, le climat change plus rapidement qu’il ne l’a jamais fait auparavant. La température globale sur terre augmente, avec un réchauffement plus rapide dans les hautes latitudes. Ces variations de température et d’humidité de l’air (d’hygrométrie) ont des effets directs sur les mécanismes qui régissent des maladies vectorielles comme le paludisme, via notamment les phénomènes d’adaptation.
Les moustiques s’adaptent aux nouvelles conditions climatiques. Alors qu’auparavant les anophèles transmettant le Plasmodium piquaient surtout la nuit, elles tendent désormais à inoculer le parasite aussi au petit-matin ou avant le coucher du soleil, c’est-à-dire à des heures où il est compliqué de se protéger avec une moustiquaire. Autre changement en cours : les zones urbaines, plus préservées du paludisme que les zones rurales (moins de mares et de flaques d’eau où les moustiques pondent et les larves se développent) pourraient redevenir des endroits de haute transmission suite à l’arrivée en Afrique d’une nouvelle espèce d’anophèle en provenance de l’Inde (Anophele Stephensi), qui arrive à se produire en ville ainsi qu’en altitude Les parasites s’adaptent aussi : le Plasmodium falciparum, parasite du paludisme le plus répandu actuellement en Afrique, a ainsi progressivement supplanté dans certaines zones tempérées d’autres espèces de plasmodium comme vivax, ovale ou malariae, qui étaient majoritairement responsables de cas de paludisme jusqu’en 1970.
D’autre part, les évènements météorologiques extrêmes comme les canicules, les cyclones, les inondations, qui deviennent plus intenses et de plus en plus fréquents avec le changement climatique, rendent les populations plus vulnérables aux maladies vectorielles car ils causent des dommages aux infrastructures et aux systèmes de santé (altérant les soins, rendant les déplacements difficiles et les habitats plus précaires etc..), détruisent les récoltes et aggravent la malnutrition, favorisent la précarité (pauvreté, mal logement, déscolarisation…) et les déplacements de population.
Peut-on anticiper les conséquences du changement climatique pour mieux organiser la riposte sanitaire ?
Les climatologues, notamment du GIEC¹, ont établi différents scénarios climatiques possibles, du plus optimiste au plus pessimiste. Actuellement, la trajectoire du climat évolue plutôt vers un scénario pessimiste. Ces scénarios contribuent aux modélisations concernant le développement du paludisme mais la maladie ne répond pas seulement à la variable climatique, son épidémiologie est multifactorielle : les variables à prendre en compte sont nombreuses et mouvantes.
Le climat joue un rôle important dans l’épidémiologie du paludisme. Cette épidémiologie répond à de grandes règles telles que « le paludisme suit les précipitations dans une gamme de température viable ». Mais il y a toujours des exceptions à cette règle générale : des cas de paludisme en saison sèche ont été récemment rapportées dans certains pays Sahéliens. Ce phénomène n’est pas encore bien expliqué. Il pourrait-être lié à des mouvements de population et l’importation d’autre type de Plasmodium. Les précipitations ont aussi eu tendance à augmenter récemment sur l’Afrique de l’Ouest, avec des bonnes saisons de mousson, mais il demeure encore beaucoup d’incertitudes sur les évolutions à venir, basées sur les modèles climatiques. En parallèle la température augmente partout mais de manière plus rapide dans les zones arides, notamment dans la bande sahélienne, ce qui rajoute de la complexité dans l’établissement de prévisions.
Comme il a été dit, de nombreux facteurs humains influencent également l’évolution de la maladie : la pauvreté et la malnutrition que l’impact du changement climatique peut aggraver. L’urbanisation croissante, les conflits, les déplacements de population, les modalités de gestion de l’eau (en augmentant les rétentions d’eau, notamment les barrages, les zones d’eau stagnantes propices à la prolifération des moustiques sont plus nombreuses), les méthodes de contrôle en place et la résistance aux insecticides et aux traitements disponibles sont des facteurs prépondérants. La nécessité de prendre en compte cette multiplicité de paramètres rend compte de la complexité à prédire l’avenir du paludisme. Les chercheurs combinent certaines de ces variables pour simuler la dynamique du risque de transmission du paludisme passé et récent afin de projeter les données obtenues dans le futur.
Concernant la variable climat, en se projetant sur une planète beaucoup plus chaude et à long terme, l’impression est que le risque paludique va augmenter en zone d’altitude avec des populations d’autant plus vulnérables qu’elles n’ont pas encore été exposées à cette maladie (personne ne possédant de défenses immunitaires acquises au contact du parasite au fil du temps, l’épidémie risque de toucher rapidement l’ensemble de la population et de donner plus de formes graves de la maladie). Par contre en zone de plaine, du Sénégal à l’Éthiopie, le risque simulé diminue en raison de la chaleur qui tue les moustiques, ce qui n’est qu’une demi bonne nouvelle car les populations locales auront à s’adapter à des températures très élevées parfois invivables pour l’homme.
Nous avons cependant des armes pour riposter à l’extension du paludisme : des médicaments et désormais des vaccins. Mais, à ce jour, les vaccins n’offrent qu’une protection partielle et nécessitent plusieurs rappels (4 doses de vaccin doivent être injectées pour obtenir la meilleure protection). Or, il est difficile de mener des campagnes de vaccination successives dans ces pays : éloignement des enfants des centres de santé, réticence des parents aux injections multiples, etc. Le fait que certains tombent malades malgré le vaccin rend aussi plus difficile de convaincre les parents de son efficacité. D’autre part, les résistances aux médicaments antiparasitaires, notamment la chloroquine et plus récemment l’artémisinine, augmentent. De plus, les moustiques s’adaptent aux insecticides et deviennent plus résistants.
Il est donc important de bien comprendre tous les facteurs qui influencent les épidémies d’une maladie complexe comme le paludisme, dont le réchauffement climatique et ses conséquences, et de tout faire pour limiter leurs impacts dans le futur.
- Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a été créé en 1988 sous l’égide de l’Organisation météorologique mondiale (OMM) et du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE). Il chargé d’évaluer l’ampleur, les causes et les conséquences du changement climatique en cours.