630 000 personnes meurent chaque année du VIH dans le monde malgré l’extension de l’accès aux thérapies antirétrovirales. De nombreux patients arrivent en parcours de soins avec un VIH avancé. Un protocole de prise en charge précis peut les sauver, à condition que les médecins soient bien formés et aient accès aux tests et soins adéquats. Avec le soutien de L’Initiative, du Fonds mondial et de l’Organisation mondiale de la Santé, une équipe de médecins a conçu une « boîte à outils » dédiée. David Masson, pédiatre spécialisé dans le VIH, y a contribué.
David Masson
pédiatre spécialisé dans le VIH
Qu’est-ce que le VIH avancé ?
David Masson : Depuis l’introduction des trithérapies en 1996 dans les pays les plus développés et autour de 2005 dans le reste du monde, les personnes vivant avec le VIH, qui sont sous traitements antirétroviraux (ARV), peuvent mener une vie quasi normale. Elles sont suivies, leur immunité remonte et elles ne transmettent plus le virus. Cependant, de nombreux patients ne sont pas au courant de leur infection, ou ont interrompu leur traitement pour diverses raisons (sentiment d’être guéri, lassitude, déménagement…).
Ces patients vivant avec le VIH à un stade avancé risquent de développer des maladies sévères. Ce stade avancé demeure l’un des derniers grands défis de la prise en charge du VIH : quand ils arrivent à l’hôpital, les patients ont besoin de soins spécifiques, en complément des ARV, qui permettront de faire remonter leur immunité.
Quelle est la différence de traitement d’un patient atteint d’un VIH avancé ?
David Masson : Habituellement, l’Organisation mondiale de la Santé préconise une politique de test and treat, c’est-à-dire un traitement immédiat : dès qu’on diagnostique le VIH à un patient, il convient de commencer les ARV le jour même ou dans la semaine qui suit. Cela permet d’éviter de perdre les patients de vue. On les met sous traitement, on les suit attentivement dans les premiers temps. Leur immunité remonte et ils entrent dans des soins de routine. En somme, ils s’habituent et intègrent les traitements à leur quotidien.
Mais lorsqu’il arrive en état de VIH avancé – comme c’est le cas de plus d’un tiers des patients détectés au Congo, par exemple –, le patient a une immunité très faible et est particulièrement vulnérable à des maladies opportunistes comme la tuberculose ou la cryptococcose – une infection due à un champignon – premières causes de mortalité des personnes vivant avec le VIH. La cryptococcose survient surtout chez les patients immunodéprimés et dont la forme clinique la plus sévère est une méningo-encéphalite grave. Il faut traiter avant toute chose ces maladies à localisation cérébrale, sinon le patient risque d’en mourir avant que les antirétroviraux aient le temps d’agir.
Par ailleurs, ces patients demandent une surveillance spécifique au début de leur traitement. La prise d’antirétroviraux remet en route le système immunitaire et peut déclencher un syndrome inflammatoire important (syndrome de reconstitution immunitaire). Le patient peut être porteur de germes dormants de tuberculose, de cryptococcose ou d’autres maladies opportunistes, qui se réveillent alors sous des formes très agressives, en réaction au réveil immunitaire.
Comment détecte-t-on un VIH avancé ?
David Masson : Chez les adultes, les signes cliniques sont souvent clairs : une cachexie, c’est-à-dire une grande maigreur, des symptômes cutanés, des troubles neurologiques. Mais le patient peut être sévèrement immunodéprimé mais peu symptomatique. Avec ou sans signes cliniques, le premier réflexe est de vérifier l’abondance des lymphocytes CD4, qui sont, pour simplifier, les globules blancs qui orchestrent notre réponse immunitaire. Le VIH attaque ces cellules CD4. [L’OMS définit l’infection à VIH à un stade avancé comme la présence d’une numération des CD4 inférieures à 200 cellules/mm3.] L’accès à cet examen est devenu difficile, mais il existe aujourd’hui des tests rapides qui permettent d’évaluer si le patient est sévèrement immunodéprimé ou non. En cas d’immunodépression, on fait d’autres tests pour savoir si le patient est atteint de tuberculose ou de cryptococcose, entre autres, et on traite ces maladies avant de commencer les ARV.
Pour les enfants, le protocole est-il le même ?
David Masson : Chez les très jeunes enfants, le protocole est plus délicat. D’abord, parce que les pathologies d’un VIH avancé ressemblent à d’autres pathologies qui touchent tous les enfants : des infections bactériennes, des diarrhées traînantes, des infections respiratoires ou une malnutrition. Les symptômes du VIH chez les jeunes enfants ne sont pas les mêmes que ceux des adultes. La cryptococcose est exceptionnelle et la tuberculose difficile à diagnostiquer. En plus, le test rapide du taux de CD4 n’est pas adapté en pédiatrie parce que le taux de CD4 des enfants est naturellement beaucoup plus élevé que celui des adultes. Le risque est donc que le VIH passe inaperçu et, lorsqu’il est diagnostiqué, il est peut-être difficile de « classer » l’enfant. L’OMS recommande de considérer tout enfant de moins de 5 ans dans la catégorie du VIH avancé.
En effet, quand leurs défenses immunitaires sont fréquemment basses, et les enfants courent le risque de développer rapidement des formes très sévères de pathologies courantes comme les pneumopathies ou une tuberculose disséminée. Un enfant qui souffrirait à la fois du VIH, d’une tuberculose et de malnutrition sévère aura besoin d’une prise en charge plus globale, avec des antibiotiques, de l’oxygène, une réhydratation et une nutrition adaptée, associée aux ARV.
La boîte à outils donne donc des détails sur le bon protocole à suivre ?
David Masson : Oui, nous y avons rassemblé les protocoles recommandés par l’OMS, ainsi que les documents pratiques élaborés par d’autres institutions (comme MSF, la Fondation Clinton, la Fondation Elizabeth Glaser…) ou créés spécifiquement pour l’occasion. En principe, c’est à un médecin infectiologue spécialisé d’initier un traitement antirétroviral, mais de plus en plus de médecins sont formés au suivi des patients VIH, sans forcément savoir reconnaître ou prendre en charge un cas de VIH avancé. Nous leur proposons avec cette « boîte à outils » un ensemble de documents, notamment un résumé des examens à faire et des conduites pratiques sur le plan diagnostic et sur le plan thérapeutique. Ces documents existaient pour la plupart mais le fait de les avoir réunis dans cette boîte à outils facilitera leur utilisation par les prescripteurs. Idéalement, des outils pédiatriques complémentaires devraient être conçus.
Au-delà de cette boîte à outils, quels sont les besoins auxquels des politiques de santé peuvent répondre ?
David Masson : Nous espérons que ce document appuiera aussi le plaidoyer pour encourager les pays à se procurer des tests rapides de CD4, ainsi que les tests de diagnostic rapide de la tuberculose et de la cryptococcose. Ces tests rapides ont l’avantage d’être à la portée de tout technicien de laboratoire, même dans des laboratoires décentralisés, en dehors des hôpitaux. En médecine, on trouve ce que l’on cherche : une fois que ces pathologies seront plus largement détectées, les programmes nationaux auront de bonnes raisons de demander au Fonds mondial une aide au financement des traitements adéquats, pour mieux prendre en charge les patients atteints du VIH avancé.