Au Cambodge, avec le soutien de L’Initiative, un système de distribution communautaire de traitements antirétroviraux a été expérimenté, avec succès, par l’organisation KHANA. Engagée dans la lutte contre le VIH-sida, elle fournit des services de prévention et de soutien, au niveau communautaire.
Choub Sok Chamreun
Directeur exécutif de l’association Khmer HIV-AIDS NGO Alliance [Alliance des ONG khmères VIH-sida] (KHANA) au Cambodge.
Quel était l’objectif du projet contre le VIH-sida soutenu par L’Initiative entre 2019 et 2022 ?
Nous avons testé un nouveau système communautaire de distribution de traitements antirétroviraux. Nous avons constitué des groupes de 20 à 25 personnes et leur avons demandé d’identifier un ou une leader communautaire qui serait chargé·e de recevoir le traitement pour l’ensemble du groupe auprès de l’établissement de santé local. Chaque patient n’avait plus à trouver le temps et les moyens de se rendre au centre de santé pour recevoir ses médicaments mais déléguait cette responsabilité à un leader.
Y a-t-il eu d’autres avantages pour les patients ?
Il ne s’agissait pas seulement de distribuer le traitement plus efficacement. Les groupes de patients sont souvent devenus des groupes de soutien, une communauté leur permettant de se parler, d’échanger leurs expériences et de s’entraider. Ceux qui vivaient avec le traitement depuis de nombreuses années ont pu conseiller les nouveaux patients. Parfois, l’entraide allait au-delà de la question médicale : des prêts, des projets de développement local ont pu se mettre en œuvre par exemple. Ce système permet également de construire un capital social et de renforcer les communautés.
Qu’en ont pensé les autorités et les établissements de santé ?
De nombreux établissements de santé étaient intéressés, car cela réduisait leur charge de travail : ils avaient toujours affaire à la même personne et n’avaient plus qu’à lui fournir les médicaments pour son groupe de 20 à 25 personnes, au lieu de recevoir chaque individu. Cependant, certains établissements ont estimé qu’ils y perdaient, car ils ne pouvaient pas facturer 20 consultations distinctes.
Mais ils y ont trouvé d’autres avantages : par l’intermédiaire des leaders communautaires, les structures ont acquis une meilleure compréhension de la communauté qu’ils traitaient et ont pu faire passer des messages plus facilement, par exemple sur la prévention ou les nouveaux médicaments. Les leaders étaient également les mieux placés pour faire remonter des informations et des données aux autorités régionales et nationales.
En termes de santé publique, quel est l’intérêt de s’appuyer sur des leaders communautaires ?
Les leaders jouent un rôle majeur d’intermédiaire entre les communautés et les autorités : ils connaissent leur communauté et leurs besoins et sont les mieux placés pour les soutenir. Dans les zones rurales, de nombreuses personnes rencontrent des difficultés pour communiquer avec les médecins et les établissements de santé : ils ne parlent pas la même langue et n’ont ni la bonne attitude ni les bonnes connaissances. Cela peut limiter leur accès aux soins. Ces leaders communautaires comblent cette lacune. Les patients et leur communauté se sentent plus à l’aise avec eux quand ils ont des questions ou des informations à transmettre. Ils savent qu’ils sont comme eux, qu’ils vivent dans la communauté avec le VIH-sida, mais qu’ils ont accès à des connaissances supplémentaires.
Les leaders sont donc au cœur du projet : c’est pourquoi celui-ci comportait un important volet de renforcement de leurs capacités, afin de les former à soutenir au mieux leur groupe, à comprendre les aspects médicaux, les traitements, la prévention, les vaccinations le cas échéant, pour ensuite accompagner leur communauté.
Maintenant que le projet est terminé, prévoyez-vous de continuer à développer de tels systèmes ?
De nombreuses communautés ont tellement apprécié ce système qu’elles ont trouvé des moyens de le faire perdurer après 2022 : elles ont versé un petit salaire à leur leader afin qu’il puisse poursuivre sa mission. Bien sûr, c’est fragile à long terme, car nous ne savons pas combien de temps des personnes, qui ont souvent du mal à survivre au quotidien, pourront se permettre cette dépense. Mais c’est la preuve que le système fonctionne. Il serait préférable de trouver un financement national ou international. C’est pourquoi nous plaidons pour que le système de santé national adopte le modèle et l’étende à d’autres communautés de patients. Nous travaillons actuellement en partenariat avec d’autres projets et sollicitons d’autres subventions afin d’étendre cette approche à d’autres communautés de patients et de mieux inclure les personnes LBGTQ+.
De votre expérience, qu’est-ce qui est nécessaire au bon fonctionnement d’un tel modèle communautaire ?
Tout d’abord, il faut trouver le bon leader, la personne qui mobilisera la communauté et créera des relations durables avec l’établissement de santé. Deuxièmement, cette personne a besoin de formation et de soutien pour travailler correctement. Et troisièmement, il faut des ressources pour financer tout cela. Dans un pays comme le Cambodge, on ne peut pas demander à des gens de faire du bénévolat comme dans les pays développés où on a du temps et de l’argent une fois la survie assurée. Les leaders retirent davantage du projet qu’un simple salaire : ils grandissent en tant qu’individu, ils acquièrent de nouvelles compétences et la communauté bénéficie de celles-ci. Ils sont ainsi des passeurs de connaissances, des acteurs de prévention et des informateurs.
À leur tour, les communautés se renforcent, préparant le terrain à de nouveaux leaders : c’est un cercle vertueux. Les communautés doivent être placées au cœur des systèmes de santé, car les politiques de santé doivent être conçues pour le peuple… par le peuple. Ils ont besoin de s’approprier le système de santé. C’est pourquoi nous devons combler le manque de communication entre les communautés, les décideurs politiques et les prestataires de services de santé : nous devons les faire s’asseoir à la même table et trouver des solutions ensemble.