Pilier de la Stratégie mondiale de lutte contre le sida 2021-2026, la lutte contre toutes les formes de stigmatisation et de discrimination liées au VIH est essentielle pour mettre fin à l’épidémie de sida d’ici à 2030 – l’un des objectifs de développement durable des Nations unies. Depuis février 2024, L’Initiative et l’Onusida sont liés par un partenariat stratégique. L’Initiative participe ainsi aux efforts face aux inégalités constatées dans la réponse à l’épidémie, dans six pays d’Afrique de l’Ouest et centrale. Fatou Mbacké Sy, coordinatrice du partenariat, revient sur ses enjeux et ses objectifs.
Fatou Mbacké Sy
Coordinatrice de projet Onusida, département Égalité et droits pour tous, Bureau régional Onusida, Dakar
Quelles sont les ambitions de ce partenariat entre L’Initiative et l’Onusida ?
Fatou Mbacké Sy : Avec L’Initiative, nous posons les premières pierres d’un partenariat que nous voulons durable et engagé. La lutte contre la stigmatisation et la discrimination liées au VIH est un combat de longue haleine qu’il faut mener dans cette région, particulièrement touchée. Ces deux dernières années, nous avons construit et consolidé les bases de ce partenariat qui a été officiellement signé en février 2024. Pour la première fois, L’Initiative appuie financièrement une agence des Nations unies : c’est un modèle de financement novateur ! Ce projet va permettre de renforcer la réponse de l’Onusida dans six pays d’Afrique de l’Ouest et centrale pour accélérer la réduction de la stigmatisation et de la discrimination liées au VIH dans la région.
Nous espérons des avancées juridiques : des lois plus protectrices pour que les personnes concernées puissent disposer de leurs droits, notamment ceux liés à la santé, et que leur accès aux services de soins soit garanti. Grâce aux synergies créées, avec l’appui de nos partenaires de la société civile et communautaires, nous espérons changer les normes sociales et les perceptions, pour faire face efficacement à la pandémie.
Plus largement, ce projet vise à répondre aux objectifs 10-10-10 de la Stratégie mondiale de lutte contre le sida 2021-2026. D’ici 2025, l’ambition est que moins de 10 % des personnes vivant avec le VIH et des populations clés soient victimes de stigmatisation et de discrimination, moins de 10 % des femmes et des filles, des personnes vivant avec le VIH et des populations clés soient victimes d’inégalités et de violences fondées sur le genre et que moins de 10 % des pays appliquent des lois et politiques punitives ou présentant des obstacles qui peuvent entraver la justice. Le projet s’inscrit également dans les objectifs onusiens 95-95-95 : au moins 95 % des personnes vivant avec le VIH connaissent leur statut VIH, au moins 95 % des personnes qui connaissent leur statut VIH suivent un traitement antirétroviral et au moins 95 % des personnes sous traitement ont une charge virale supprimée, d’ici 2025.
Les objectifs 10-10-10 et 95-95-95 sont inextricablement liés. Un environnement juridique restrictif, des pratiques discriminatoires et la stigmatisation rendent souvent les populations clés, ainsi que les jeunes femmes et filles réticentes à se faire dépister ou à accéder aux services de traitement. Ces barrières les exposent davantage à des retards dans le diagnostic et la prise en charge.
Comment ce partenariat est-il mis en œuvre ?
Fatou Mbacké Sy : Le partenariat va durer trois ans. Cette année, nous nous mobilisons sur l’implication de nos trois partenaires de la société civile dans la région : Coalition Plus, Enda Santé qui porte l’Institut de la société civile pour la santé en Afrique de l’Ouest et du Centre, et Alliance Côte d’Ivoire, ainsi que leurs partenaires locaux. Les communautés, en tant qu’acteurs clés de la réponse au VIH, possèdent une connaissance approfondie des réalités locales et des besoins spécifiques. Ensemble, nous développons le projet, précisons les rôles de chaque partie prenante et définissons les axes d’intervention, avec l’ambition de placer les communautés concernées au centre des actions menées.
Nous nous mobilisons également pour que les autorités des six pays concernés s’impliquent afin de nous assurer de la pertinence, de la cohérence et de la pérennité de nos initiatives. Pour ce faire, nos collègues des bureaux de l’Onusida de la zone travaillent en étroite collaboration avec les responsables des programmes nationaux de lutte contre le sida et les acteurs nationaux de la santé, à l’instar des ministères de la Santé et des Femmes, dans certains pays, ainsi que des parlementaires. Ces interactions permettent d’aligner nos efforts sur les priorités des réponses nationales, tout en veillant à leur complémentarité avec d’autres initiatives en cours, notamment celles du Fonds mondial dans le cadre du cycle de subvention GC7. Ce projet ambitionne de créer des synergies pour s’attaquer à la stigmatisation liée au VIH de façon systémique.
Pourquoi le choix de ces six pays d’Afrique de l’Ouest et centrale ?
Fatou Mbacké Sy : Le projet se déploie au Bénin, au Cameroun, en Côte d’Ivoire, en République centrafricaine (RCA), au Sénégal et au Togo. Dans ces pays, il existe des lois ou des politiques discriminatoires et punitives qui entravent l’accès aux services et aux soins. Or, la stigmatisation et la discrimination liées au VIH représentent un obstacle important à l’élimination du sida en tant que menace pour la santé publique d’ici 2030 – l’ambition de l’Onusida – et pour les droits humains. Les populations clés (travailleurs et travailleuses du sexe, les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes, usagers et usagères de drogue) souffrent particulièrement du fardeau de la stigmatisation et cela nuit à la prévention, au traitement et à la prise en charge du VIH. En 2021, 74 % des nouvelles infections au VIH en Afrique de l’Ouest et centrale concernaient les populations clés et leurs partenaires. Les adolescentes et les femmes de 15 à 49 ans, qui représentent 43 % des nouvelles infections dans la région en 2022, font face à des obstacles juridiques et sociétaux importants.
Comment accompagnez-vous ces pays dans la lutte contre la stigmatisation liée au VIH ?
Fatou Mbacké Sy. : Nous les appuyons dans les réformes légales et législatives qu’ils entreprennent pour que des lois et politiques protectrices et plus inclusives voient le jour, pour la population générale, les populations clés ainsi que les jeunes femmes et les adolescentes. Nous avons soutenu des réformes juridiques dans des pays comme le Bénin, le Cameroun et la RCA, via l’accompagnement de parlementaires et de leaders d’opinion, afin qu’ils soient mieux préparés à répondre aux besoins de ces groupes, dans l’analyse et la transformation du cadre juridique. Nous accompagnons aussi des initiatives telles que l’élaboration de textes réglementaires en RCA et l’engagement de parlementaires au Bénin pour réviser la loi VIH, afin de lever les obstacles structurels à l’accès aux services.
Nous nous mobilisons également pour le renforcement du suivi communautaire. Des mécanismes existent déjà et, dans certains pays, ceux-ci s’intéressent également aux questions liées à la stigmatisation et à la discrimination. Notre ambition dans ce projet est de renforcer ces mécanismes en travaillant ensemble à la définition d’indicateurs et au développement d’outils qui leur permettront de collecter et d’analyser systématiquement les données relatives à ces questions. Ce suivi est essentiel et permet d’analyser les actions menées, d’autant que ces données peuvent être utilisées à des fins de plaidoyer.
Quelles actions sont entreprises auprès des populations vulnérables ?
Fatou Mbacké Sy : Nous cherchons à améliorer et renforcer l’accès juridique des populations clés, des jeunes femmes et des adolescentes, en cas de stigmatisation ou de violation de droits. Nous menons des actions d’accompagnement juridique de victimes de violences basées sur le genre (VBG) et formons des pairs éducateurs issus des populations clés pour renforcer l’accès à la justice et l’empouvoirement des populations concernées. Nous avons même mis en place des cliniques juridiques pour opérer ce renforcement des capacités et d’empouvoirement.
En parallèle, nous évaluons les dispositifs et mécanismes existants que les populations clés, les jeunes femmes et les adolescentes peuvent saisir en cas de violation de leurs droits, stigmatisation et VBG, en milieux de soins. Cet état des lieux et ces données de base guideront la prochaine phase du projet pour une réponse plus efficace et ciblée. Pour contribuer à la réduction de la stigmatisation, de la discrimination et des VBG en milieu de soins, nous formons aussi le personnel des centres de santé publics et communautaires pour qu’ils adoptent des attitudes moins stigmatisantes et discriminantes et qu’ils identifient également et prennent en charge les personnes victimes de VBG. Par cette sensibilisation des professionnels de santé et des autorités locales, nous œuvrons pour que les populations concernées soient prises en charge dans un environnement respectueux de leurs droits.
Nous utilisons également des outils innovants comme LILO Connect – Looking In, Looking Out –, une série de méthodes et programmes conçus pour soutenir les personnes issues de groupes vulnérables afin de réduire la stigmatisation. En Côte d’Ivoire, l’adaptation de la plateforme YIMBA – destinée à améliorer la collecte, l’analyse et l’utilisation des informations des réseaux sociaux concernant les populations clés – permettra une analyse en temps réel des discours discriminatoires et haineux sur les réseaux sociaux, et facilitera des interventions ciblées et rapides pour contrer ces narratifs et protéger les droits des populations marginalisées. Ceci a été particulièrement crucial cette année face au phénomène « anti-woubi » (« anti-gay »), qui a intensifié les discours stigmatisants à l’encontre des populations clés.