Quels sont les principaux enjeux de la lutte contre le paludisme au regard des objectifs de développement 2030 ?
Des progrès considérables ont été observés au cours des vingt dernières années : la chute de la prévalence globale a été spectaculaire et le taux de mortalité a été réduit d’environ 60 %. Mais aujourd’hui, la lutte contre le paludisme semble marquer le pas. Le rapport 2019 de l’OMS est préoccupant : à part en Asie du Sud-Est, les progrès sont très modestes, voire négatifs entre 2015 et 2018. Le taux de couverture des outils de prévention et du traitement préventif, toujours insuffisant, explique en grande partie la recrudescence de la mortalité liée à cette épidémie. En 2017, seule la moitié de la population à risque pour le paludisme en Afrique dormait sous une moustiquaire imprégnée. Et l’accès des femmes enceintes et des enfants de moins de cinq ans aux traitements préventifs était bien trop faible.
C’est tout le paradoxe du paludisme. Il existe des stratégies efficaces pour l’enrayer, mais l’objectif d’éradication risque de rester un vœu pieux sans intensification des interventions pour une couverture universelle antipaludique de base de toutes les populations à risque.
À quels enjeux spécifiques fait-on face en Afrique ?
L’Afrique concentre à elle seule plus de 90 % de la charge palustre : en 2018, 213 des 228 millions de nouveaux cas estimés se sont produits en Afrique selon l’OMS. Sans surprise, c’est également cette zone qui paye le plus lourd tribut. Elle concentre les trois quarts des décès liés au paludisme. 61 % de ces morts ont moins de cinq ans.
Les efforts doivent se concentrer dans cette région du monde. C’est tout le sens de l’initiative « 10+1 » lancée en 2018 par l’OMS, en référence aux dix pays d’Afrique et à l’Inde. Ce sont les pays les plus durement touchés par le paludisme, avec plus de 70 % des cas dans le monde. Malheureusement, les investissements demeurent largement insuffisants. D’après le Fonds mondial qui finance 65 % des programmes mondiaux de lutte contre le paludisme, les fonds consacrés à l’épidémie ont baissé de 500 millions de dollars entre 2017 et 2018, passant de 3,2 à 2,7 milliards de dollars. Dans le même temps, les besoins s’élevaient à 5 milliards de dollars.
En quoi la recherche opérationnelle peut répondre à ces enjeux ?
La recherche opérationnelle cherche à identifier des stratégies de santé publique novatrices et efficaces, en vue de leur éventuelle adoption par les pouvoirs publics. Les équipes mettent tout en œuvre pour démontrer l’efficacité d’une intervention et en faciliter la traduction dans des politiques publiques. Prouver qu’une intervention X dans une région augmente sensiblement le taux de couverture de la chimioprévention du paludisme saisonnier (CPS) ou du diagnostic précoce peut être crucial pour sa mise en œuvre à plus grande échelle.
L’Initiative consacre depuis 2018 un appel à projets spécifique à la recherche opérationnelle. En 2020, ce dispositif se focalise sur l’amélioration de la lutte contre le paludisme dans le grand Sahel et en Afrique centrale. Nous sommes convaincus que les projets financés contribueront efficacement à la riposte contre la pandémie dans ces régions durement touchées.
Quels sont la place et le rôle des communautés et de la société civile dans les dispositifs de lutte contre le paludisme ?
Les organisations et relais communautaires jouent un rôle central à tous les niveaux de la riposte contre le paludisme. Ce sont eux qui recensent avec précision les besoins des personnes exposées et adaptent le plus efficacement possible la réponse. Promotion des outils de prévention, diagnostic précoce, chimioprévention saisonnière, traitement à domicile, orientation des cas les plus graves vers les services de santé de référence ou encore soutien psychosocial, la mobilisation communautaire est un gage fondamental de la réussite de toute la chaîne de services. Enfin, c’est bien souvent la société civile qui sonne l’alerte lorsque l’accès aux services est insuffisant ou inéquitable. Et c’est elle encore qui plaide pour la levée des obstacles qui empêchent les populations de jouir pleinement des services de santé.
Les programmes de lutte contre le paludisme sont-ils affectés par l’épidémie actuelle de Covid-19 ?
Les premières remontées du terrain sont préoccupantes :dans plusieurs pays d’Afrique, les campagnes de distribution de moustiquaires imprégnées et de pulvérisation à l’intérieur des habitations ont été suspendues par crainte d’exposition des agents à la Covid-19. Et comment préparer les systèmes de santé à la prise en charge d’une personne qui présente une fièvre : une fièvre palustre ou une fièvre liée au Covid-19 ou à une autre pathologie ?
Pour de nombreuses populations vulnérables, en particulier les jeunes enfants et les femmes enceintes, la pandémie de Covid-19 pourrait accroître le risque de contracter le paludisme. Lors de l’épidémie d’Ebola, entre 2014 et 2016, le ralentissement des efforts de lutte contre le paludisme s’est traduit rapidement par une forte augmentation de la morbidité et de la mortalité liées à la maladie. Aujourd’hui, il est capital de poursuivre les efforts de prévention, de détection et de traitement du paludisme. Pour cela, des mesures de protection doivent être appliquées pour limiter le risque de transmission de la Covid-19 entre les patients, au sein des communautés et parmi les agents de santé.
Moustiquaires à imprégnation durable, tests de diagnostic rapide et médicaments antipaludiques ne doivent pas connaître de pénurie. Face aux perturbations liées aux mesures de confinement et à la suspension des importations et des exportations, une action coordonnée est essentielle pour garantir la disponibilité de ces articles essentiels pour lutter contre le paludisme. Seul un effort concerté pourra limiter la propagation de la Covid-19 sans compromettre l’accès aux services de prévention, de diagnostic et de traitement du paludisme.