Le Maroc a effectué sa première demande de financement conjointe VIH/tuberculose en 2020. Quelles leçons apprises et bonnes pratiques pourriez-vous tirer de cette expérience ?
L’anticipation du processus est la clé pour élaborer une demande de financement de qualité. Le Maroc a su relever ce défi en conduisant les études nécessaires et en intégrant la révision des plans stratégiques nationaux (PSN) dans le calendrier de travail en amont de l’élaboration de la demande de financement. L’actualisation des PSN était indispensable et a pu être menée en prenant en considération les résultats d’études biocomportementales sur les populations clés, et notamment la prévalence et l’incidence parmi les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes, les professionnelles et professionnels du sexe, et les usagères et usagers de drogues. La complétude, la disponibilité et la qualité de ces études ont facilité le travail des membres du groupe de rédaction chargé d’élaborer le développement des deux plans stratégiques VIH et TB. Grâce à sa connaissance précise du contexte sociosanitaire marocain, l’équipe de consultantes et de consultants internationaux déployée par L’Initiative a permis d’apporter une contribution effective et efficiente, dans un climat de collaboration fructueux.
Une deuxième bonne pratique serait de veiller à valoriser les contributions des organisations de la société civile dans l’élaboration de la demande. Au Maroc, elles ont été impliquées non seulement dans l’identification des priorités des plans stratégiques mais également dans leur déclinaison dans la demande conjointe VIH et TB. Malgré la crise sanitaire de la Covid, le dialogue pays organisé par le CCM du Maroc a été participatif et inclusif. Il a pris en considération les aspirations et les options énoncées pour qu’elles soient traduites concrètement dans la demande de financement.
Enfin, il est primordial d’instaurer une démarche de priorisation. À partir des données épidémiologiques triangulées, grâce aux études IBBS, l’équipe nationale d’élaboration et les consultantes et consultants de L’Initiative ont analysé et apprécié l’estimation de l’incidence du VIH et de la tuberculose parmi les populations clés et vulnérables, afin de déterminer l’impact en termes de prévention, d’accès aux traitements et les coûts afférents. Les actions réalisées dans le cadre de la subvention RSS et le plan d’action pour la préparation à la transition ont également été pris en considération. L’analyse des lacunes programmatiques et des contraintes a fait l’objet d’un consensus entre tous les acteurs et toutes les actrices au cours d’ateliers menés en visioconférence.
La demande de financement a fait l’objet de très peu de retour de la part du TRP et peut être considérée comme un succès. Comment l’expliquez-vous ?
Tout d’abord, cette première demande de financement intégrée VIH/tuberculose a démontré une bonne compréhension de la charge du VIH et de la tuberculose, ainsi que du contexte et des disparités géographiques de l’épidémiologie de ces maladies prévalant dans le pays. Le comité chargé d’étudier la demande de financement au Fonds mondial (Technical Review Panel) a jugé pertinentes les interventions proposées : services de soins et de dépistage différenciés du VIH, expansion des services de tests moléculaires rapides pour la tuberculose, la charge virale et les hépatites virales, etc. Ces stratégies permettront d’augmenter le dépistage de la tuberculose et de la tuberculose pharmacorésistante.
Au-delà de ces interventions ciblant les deux maladies, le TRP a salué la volonté du Maroc de poursuivre le renforcement de l’intégration, à travers cette première note conjointe VIH/tuberculose, qui propose de surcroît des activités de coordination multisectorielle de moyen et long terme avec d’autres programmes de santé, tels que le programme de lutte contre les hépatites virales, la santé maternelle et infantile, la médecine du travail, le service de santé pénitencier, le secteur privé de la médecine, et la santé sexuelle et reproductive.
Le TRP s’est félicité de l’aspect inclusif du processus. En effet, malgré les restrictions liées à la Covid-19, la demande de financement a été conçue collectivement dans le cadre d’un véritable processus de dialogue pays qui a permis la pleine participation et représentation de toutes les principales parties prenantes. Cela se reflète d’ailleurs dans la demande de financement, qui opère un centrage stratégique sur le renforcement des systèmes communautaires, les droits humains et les activités sensibles au genre consacrées aux populations clés et vulnérables. Je pourrais citer par exemple le soutien des services adaptés de lutte contre le VIH et la tuberculose, le plaidoyer mené par les OSC et les mécanismes participatifs pour lutter contre la stigmatisation et la discrimination.
Enfin, le TRP a évalué favorablement le travail de préparation à la transition (sortie des financements du Fonds mondial) qui a été mené, et le calendrier des activités de suivi des engagements gouvernementaux qui a été proposé afin de s’assurer que des financements domestiques seront alloués dans le futur aux programmes nationaux VIH et tuberculose.
À l’avenir, pour le prochain cycle, quelles seraient vos recommandations pour une meilleure prise en compte des représentants de la société civile au Maroc ?
« Prendre en compte les représentants de la société civile au Maroc, c’est avant tout leur donner les moyens de comprendre les enjeux de leur participation active à l’élaboration des demandes de financement. »
Le renforcement des capacités s’impose d’emblée comme un préalable qui permet une participation éclairée. Elle est fondée sur une parfaite connaissance des enjeux de la demande de financement ainsi qu’une compréhension du rôle que les organisations de la société civile et des représentants des populations clés joueront dans les instances de coordination et de gestion des programmes. Il ne faut jamais hésiter à vulgariser et traduire les directives du Fonds mondial par des informations simplifiées, compréhensibles et adaptées, y compris en langue arabe.
Les organisations de la société civile seront impliquées dans la gestion de plus de 50 % de la présente demande de financement. De plus, dans la perspective de la transition, elles participent activement à la recherche de financements complémentaires nationaux à travers des initiatives novatrices. Au Maroc, leur participation permettra, entre autres :
- la mise en œuvre des programmes de prévention combinée et de réduction des risques pour les populations clés dans les différents sites ainsi que l’extension des innovations comme la PreP et la prévention virtuelle ;
- le déploiement de l’offre du dépistage démédicalisé ;
- un meilleur ciblage des interventions de dépistage par l’évaluation des activités de dépistage dans les régions prioritaires ;
- la création de dispositifs de médiation thérapeutique, déterminants dans le continuum de soins, l’observance des traitements et la réduction des perdus de vue.
« Il est essentiel de prendre en compte les représentantes et les représentants de la société civile, les populations clés comprises. Cela devrait devenir un critère de bonne gouvernance pour toutes les instances de coordination nationale du Fonds mondial. »
Selon vous, comment des pays comme le Maroc peuvent-ils se préparer à la transition ?
La période de préparation à la transition doit permettre de lever progressivement les contraintes et de mettre en place les conditions d’un financement national diversifié, novateur et pérenne. Le Maroc a anticipé la réflexion sur ces questions dès le début du partenariat avec le Fonds mondial. L’inversion du taux de contribution pour l’achat des ARV qui était financé à 80 % par le Fonds mondial en 2003 pour 242 patientes et patients, et qui est actuellement supporté par l’État à 80 % pour plus de 15 000 patientes et patients, en est un bon exemple. Je pourrais aussi citer le rapport portant sur les aspects relatifs à la durabilité et à la préparation à la transition pour la gestion d’achats et de stocks des produits de santé relatifs à la composante tuberculose et au VIH-sida, qui a permis de mettre en exergue les avancées, les risques et les opportunités dans le cadre de la transition.
Quels seraient les défis de cette transition au Maroc ?
Il est primordial de renforcer la gouvernance et de coordonner davantage les interventions de l’ensemble des acteurs et des actrices. Un organe national incluant les principales parties prenantes, permettant de suivre la traçabilité des engagements nationaux, pourrait être créé. Il s’agit aussi de tenir compte des investissements substantiels réalisés ou en cours, en partenariat avec les partenaires comme la Banque mondiale, l’Union européenne et les agences de coopération bilatérale telles que l’AFD. L’objectif : favoriser les synergies et coordonner les investissements pour bâtir les piliers du système de santé au profit des programmes nationaux de santé, y compris les ripostes contre le VIH et la TB.
Les organisations de la société civile sont également impliquées dans la préparation à la transition. Jusque-là largement financées par le Fonds mondial, ces organisations sont ainsi appelées à diversifier leurs sources de financement et à renforcer leurs capacités et leur partenariat avec le ministère de la Santé et d’autres entités.
Enfin, une réforme profonde des règles et procédures d’achat, de budgétisation et de financement public des médicaments et des produits de santé est nécessaire pour répondre aux exigences et besoins des programmes VIH et TB.
Pour y répondre, le Maroc prévoit de :
- mettre en place un comité financier intersectoriel pour identifier les opportunités de financement du PSN (ministère de la Santé, ministère des Finances, CCM, etc.) ;
- mener des discussions avec l’Agence nationale de l’assurance maladie sur les mécanismes de financement de prise en charge ;
- réaliser une étude sur les financements novateurs mobilisables dans la lutte contre le VIH.