Améliorer l’accès à la prévention, au dépistage et au traitement du VIH des populations clés passe par une évaluation précise de la réalité du terrain et l’écoute des personnes concernées, là où elles se trouvent, selon la Dr Ravelohanta, médecin addictologue et coordinatrice du système communautaire d’alerte sur le VIH. Dans le cadre de ce projet, quatre associations mesurent avec précision, depuis trois ans, les ruptures de stock et autres problèmes systémiques que rencontrent les personnes les plus vulnérables à Madagascar. L’objectif : construire un plaidoyer bien informé à porter auprès des autorités.
En octobre 2024, Dr Mananarisoa Ravelohanta participait au 20e colloque régional sur le VIH dans l’océan Indien. Elle y a présenté les derniers résultats du Système communautaire d’alerte sur le VIH (Sycavi). Lancé en 2021, ce projet vise à améliorer l’accès au continuum de soins pour les populations clés et les personnes vivant avec le VIH par le biais d’enquêtes de terrain dans cinq villes de Madagascar.
Au plus près des communautés de populations clés
La Dr Ravelohanta, coordinatrice de l’association AINGA/AIDES depuis 2009, connaît aussi bien le milieu médical que le système communautaire : « Ma double expérience a renforcé mon engagement à développer les liens entre ces deux systèmes. Dans le système médical « classique », nous constatons que l’enjeu majeur est celui de l’accessibilité et que le système communautaire est porteur de solutions. » C’est ainsi que le projet Sycavi combine les expertises de quatre associations de Madagascar, s’adressant chacune à une population spécifique : les travailleuses et travailleurs du sexe pour le réseau AFSA, les hommes ayant des rapports sexuels avec les hommes pour ORM LGBT, les usagères et usagers de drogues par injection pour AINGA/AIDES, et les personnes vivant avec le VIH pour le réseau Mad’Aids.
Un manque criant de ressources
Avant toute chose, le projet Sycavi est un observatoire : les quatre associations mesurent rigoureusement l’accessibilité des services de prévention, de dépistage et de prise en charge. Semestre après semestre, elles publient leur rapport afin d’alerter sur la situation critique que traverse le pays.
« Le premier problème est celui de l’accès aux soins et aux médicaments pour tous, rappelle la Dr Ravelohanta. À Madagascar, il n’y a pas de couverture sanitaire universelle. » 81 % de la population de Madagascar vit en effet sous le seuil de pauvreté. Le pays se place au 177e rang sur 193 de l’indice de développement humain des Nations unies, avec une espérance de vie moyenne de 63 ans selon l’OMS. « Dans le cas du VIH, la prévention, le dépistage ainsi que le traitement par antirétroviraux et la mesure de la charge virale sont pris en charge, mais ils sont insuffisants par rapport aux besoins. L’analyse et le traitement des infections opportunistes ne sont eux pas couverts », déplore la Dr Ravelohanta.
Les enquêteurs de l’observatoire ont constaté que les préservatifs étaient indisponibles dans 19 % des 108 centres de santé de base visités, et dans 47 % des 209 sites de rencontre. En parallèle, des préservatifs subventionnés se retrouvent en vente sur les marchés clandestins. De même, « AINGA/AIDES propose un programme d’échange de seringues , mais la quantité ne couvre pas les besoins des bénéficiaires », remarque la Dr Ravelohanta.
Pénuries d’intrants de dépistage et de soin
Les rapports successifs du projet Sycavi constatent les pénuries récurrentes des intrants nécessaires au dépistage et au soin. « Le Fonds mondial est presque le seul partenaire qui finance l’achat des intrants, remarque la Dr Ravelohanta. Les intrants sont devenus insuffisants aussi bien pour les bénéficiaires cibles que pour les femmes enceintes ou la population générale. Certaines organisations ont dû acheter les intrants elles-mêmes afin de répondre aux besoins des publics visés. »
Et ça ne s’arrête pas là. Une fois dépistées, les personnes ont besoin d’être soignées. L’enquête montre que 32 % des personnes ont connu des interruptions dans leur traitement. Les causes sont multiples : des aléas personnels, des indisponibilités d’intrants, un accès limité aux services de comptage de la charge virale, ainsi qu’une insuffisance de personnels de santé notamment de médecins référents. D’autres blocages identifiés depuis longtemps à Madagascar, sont toujours prévalents comme la discrimination et la stigmatisation, les inégalités liées au genre et la forte criminalisation de la consommation de drogue. Une personne interrogée sur trois déclare avoir déjà subi une discrimination verbale.
Une approche communautaire renforcée
Le projet Sycavi fait le point sur les problèmes majeurs, ainsi que sur les progrès à Madagascar : « Nous avons constaté un renforcement du rôle de la santé communautaire, que les bénéficiaires se sont bien appropriés », constate la Dr Ravelohanta. Parfois, les associations voient leur travail porter ses fruits. Fin 2022, leur plaidoyer alertant sur l’indisponibilité des intrants, notamment les préservatifs, avait permis la mise en place d’ateliers « Condom Programming » organisé par le Programme national de lutte contre les IST/SIDA qui avait résolu un temps la situation de pénurie.
« Par l’approche communautaire et grâce aux enquêtes précises que nous menons, nous nous donnons les moyens de porter la voix des personnes concernées et de faire des propositions pour aider les responsables dans leur prise de décision, poursuit la Dr Ravelohanta. Le colloque VIH était une opportunité de partager nos expériences avec les îles sœurs [Comores, Seychelles, Rodrigues, Maurice, La Réunion], et de démontrer les bénéfices d’une approche communautaire de la santé. » Au niveau national et régional, le consortium d’associations s’appuie sur ses résultats pour demander un accès accru aux intrants de prévention, de dépistage et de soin, dans les dix villes actuellement visées par les financements du Fonds mondial, et dans l’ensemble du pays.