Que retirez-vous de cette expérience en tant que formatrice à Madagascar ?
Cette mission a été très enrichissante. Elle a démarré lorsqu’on m’a proposé de participer à la formation des TRODeurs avec les autres pairs-éducateurs de Madagascar. Madagascar est mon pays de cœur, j’y suis allée à plusieurs reprises, je connais bien la situation des travailleuses du sexe et des personnes transgenres à Antananarivo. À l’époque, beaucoup souffraient d’infections sexuellement transmissibles et n’avaient jamais fait de tests de dépistage. En les questionnant, je me suis rendu compte qu’elles n’étaient pas bien accueillies dans les hôpitaux et que le travail avec les associations ne se passait pas toujours bien. J’ai donc naturellement accepté de participer à cette mission. PILS m’a sollicitée car ils me connaissaient bien, du fait de mes années d’engagement en tant que pair-éducatrice. Mon objectif était de former les pairs-éducateurs des associations communautaires malgaches. Il y avait des pairs de plusieurs régions, de communautés différentes, ce qui était très intéressant.
Lors de la formation, André Inwoley (l’expert mobilisé par L’Initiative) m’a demandé de faire les démonstrations à sa place. Cela m’a fait plaisir, car c’était un signe de reconnaissance de mon expertise et de mes compétences. J’ai aussi été amenée à former des soignantes et des soignants. Par exemple, un médecin m’a demandé des conseils pour effectuer les tests de dépistage rapide et pour parler à la communauté afin de l’inciter à se faire dépister. J’ai alors partagé mon expérience avec lui, pour l’aider à comprendre l’approche communautaire. Cette approche, je l’ai acquise grâce à des formations, mais surtout via mon expérience au sein de Parapli Rouz à Maurice. Avec mon association, nous avons complètement revu la façon de faire les tests de dépistage rapides, pour l’adapter à notre public cible, les travailleuses du sexe. C’est grâce à ces connaissances et compétences, apprises sur le terrain, que j’ai pu apporter mon aide à Madagascar. Je remercie L’Initiative de m’avoir donné cette opportunité.
Quelles sont les difficultés auxquelles vous avez fait face durant la formation ?
Tout d’abord, s’est posé le problème de la langue. Toutes les personnes ne parlaient pas le malagasy. Certaines utilisaient des dialectes, ce qui était un obstacle pour bien comprendre la formation. Il a fallu chercher une traductrice qui connaissait ces dialectes pour pouvoir s’assurer de la participation de tout le monde. Ensuite, si tous les participants étaient convaincus de l’importance de faire le dépistage et étaient prêts à le mettre en œuvre, ils étaient inquiets car le matériel nécessaire pour le réaliser n’avait pas encore été mis à disposition par le gouvernement.
Ce que je regrette aujourd’hui, c’est qu’il n’y ait pas eu de suivi. C’est dommage de ne pas avoir eu de retours des personnes formées. J’étais moi-même travailleuses du sexe, donc je connais très bien les difficultés que l’on peut avoir sur le terrain. Pourtant, avec les nouvelles technologies, tout le monde est connecté : un suivi à distance aurait pu être mené. J’ai moi-même mis en place un système de communication avec les filles avec qui je travaille au sein de Parapli Rouz via WhatsApp. Aujourd’hui, malgré la pandémie de Covid-19, je continue de maintenir le lien en travaillant via ces outils de communication.
Selon vous, pourquoi l’approche communautaire est-elle si importante ?
Si un médecin me dit quelque chose, je ne vais pas l’écouter. Je vais plutôt écouter la personne qui me comprend, qui me ressemble et qui fait le même métier que moi, avec qui je peux tout partager, sans jugement, sans discrimination.
Selon moi, il faut faire de la mise en réseau pour créer un lien de confiance et de partage. Pour trouver ensemble des solutions, il faut réfléchir ensemble afin de partager les avis, et trouver la meilleure solution. Il faut prendre en considération les pairs, la communauté, pour voir ce dont ils ont besoin, ce qu’il faut changer, améliorer… Si on veut arriver ensemble à notre objectif d’élimination du VIH, il faut adopter l’approche communautaire et former les pairs. Par le passé, j’ai suivi une formation dispensée par la Sex Workers Academy Africa (SWAA) pour les travailleuses du sexe sur le plaidoyer juridique. Jusqu’à maintenant, je suis encore en relation avec les autres participantes grâce à Facebook. Je ne parle pas très bien anglais mais nous trouvons les moyens de communiquer : je me suis fait des amies un peu partout à travers l’Afrique, et même en France, au Canada, au Brésil… Je consulte les autres filles pour échanger nos idées, parler des précautions à prendre… Cela m’apporte beaucoup, notamment pour partager les meilleures pratiques.
Que pensez-vous du renforcement des capacités des associations communautaires ?
Souvent, ce sont les grosses ONG qui sont mises en avant. C’est vrai qu’elles produisent un reporting et une communication de qualité, car elles ont en interne des personnes spécialisées pour cela. Dans nos associations communautaires, c’est différent, car il y a moins de ressources humaines à disposition. Pourtant, c’est à nous, les associations de terrain, de mettre en œuvre les actions. À Maurice ou ailleurs, il faut que les bailleurs s’ouvrent à davantage d’ONG. À Parapli Rouz, notre action va bien au-delà de la distribution de préservatifs et de la réalisation de tests. Nous nous assurons aussi que la personne va bien, qu’elle mange, qu’on respecte ses droits, qu’elle est en bonne santé, que ses enfants ont accès à l’école. Nous faisons l’accompagnement dans les soins. Notre association est petite, et pourtant elle a touché plus de 2 000 travailleuses du sexe à Maurice.
Aussi, la formation n’est pas une expérience qu’on ne doit faire qu’une seule fois. J’ai insisté plusieurs fois là-dessus : quand on commence à faire une formation basique sur le VIH, il faut continuer à travailler au-delà de la formation avec les personnes formées. Il faut former les mêmes personnes sur plusieurs aspects de la lutte contre le VIH sur la durée, sur plusieurs sujets. Sans suivi, la personne peut se sentir utilisée, car on ne fait appel à elle que quand on a besoin d’elle.
Si on veut vraiment changer la situation dans le monde, il faut prendre la personne en compte, et vivre avec elle sa maladie.
Et pour vous, quelle est la suite ?
J’aimerais me former davantage sur le cadre législatif, je suis passionnée par la loi. Peut-être que si j’avais fait des études, j’aurais été avocate et j’aurais pu défendre davantage les travailleuses du sexe. Nous sommes fières d’avoir une organisation qui s’occupe de nous. Nous n’utilisons pas le terme de bénéficiaire : nous parlons des « filles », car elles donnent plus qu’elles ne reçoivent. Nous savons ce qui se passe sur le terrain, et nous avons les réponses pour avancer et faire face aux épidémies.
Pour conclure, quel message voudriez-vous porter ?
Les personnes sont des personnes, ce ne sont pas des chiffres. Je pense que les indicateurs sont importants, mais si l’on veut de la qualité, il faut penser à la personne. Quand une personne est testée positive, on doit l’accompagner, et voir pourquoi elle n’accepte pas la maladie et refuse les soins. Il faut affronter la maladie ensemble, lui faire comprendre qu’il y a des gens qui l’aiment et qui comptent sur elle. Il y a quelques jours j’ai perdu une fille, une amie. Je suis triste car je n’ai pas eu assez de temps pour la suivre, du fait du manque de ressources humaines dans mon association. Si on veut vraiment changer la situation dans le monde, il faut prendre la personne en compte, et vivre avec elle sa maladie.