AHRI-APOPO : cibler, dépister et traiter la tuberculose parmi les populations défavorisées d’Addis-Abeba
L’Éthiopie fait partie des 30 pays les plus touchés au monde par la tuberculose et la co-infection VIH/tuberculose. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 188 000 personnes étaient contaminées dans le pays en 2023. Fortement liée à la pauvreté, la prévalence de cette maladie s’est accrue avec la COVID-19, les conflits internes et la situation économique mondiale. Les populations défavorisées d’Addis-Abeba, capitale de l’Éthiopie, sont parmi les plus touchées du pays par la tuberculose, qui reste un enjeu de santé publique majeur. Negussie Beyene et Aline Serin reviennent sur le projet AHRI-APOPO, soutenu par L’Initiative, et ses objectifs en matière de dépistage innovant et de sensibilisation.
Quelle est la situation à Addis-Abeba ?
Negussie Beyene : Addis-Abeba est une ville surpeuplée qui connaît un afflux constant de population, en raison des conflits internes et des déplacements liés à la recherche de meilleures conditions de vie. Si les chiffres officiels estiment la population à cinq millions d’habitants, les évaluations non officielles suggèrent qu’elle pourrait être plutôt de 10 à 15 millions, car de nombreux nouveaux arrivants ne sont pas enregistrés. Cette densité démographique, particulièrement marquée dans les zones périphériques, crée les conditions propices à la propagation de la tuberculose.
Aline Serin : En effet, la capitale éthiopienne connaît une transition urbaine tardive mais fulgurante. Censés moderniser la ville, des travaux d’aménagement urbain ont été réalisés dans le cadre du projet Corridor, ce qui a entraîné l’expulsion de nombreux habitants. Sans solution de relogement adéquate, ces derniers se retrouvent entassés dans les banlieues, ce qui accélère également la transmission de la maladie. Cela dit, la tuberculose ne se limite pas à Addis-Abeba et aux zones urbaines. Elle sévit également dans les régions pastorales, caractérisées par un fort taux de déscolarisation et un faible niveau de prévention.
Pouvez-vous expliquer l’approche communautaire engagée par le projet pour lutter contre la tuberculose ?
Aline Serin : Le défi majeur dans la lutte contre la tuberculose en Éthiopie réside dans l’éducation et la sensibilisation. La population est souvent mal informée sur la maladie et ignore l’existence de services gratuits de dépistage et de traitement. L’éloignement des centres de santé constitue aussi un obstacle important, qui conduit de nombreux Éthiopiens à repousser leur consultation jusqu’à ce que leur état soit vraiment grave. C’est un arbitrage complexe, mais se déplacer vers un centre de santé distant peut sembler moins prioritaire que d’autres besoins immédiats.
Negussie Beyene : Malgré l’existence d’une centaine de centres de santé en ville, les personnes les plus vulnérables – les personnes migrantes, les personnes souffrant d’alcoolisme ou celles vivant dans la rue – méconnaissent souvent leurs droits et les services de soins auxquels accéder gratuitement. Face à cette réalité, le projet AHRI–APOPO collabore avec des organisations de la société civile locales pour atteindre les habitants les plus éloignés du soin. Nous avons constitué une équipe de professionnels, notamment des agents de santé urbains, formés pour sensibiliser et intervenir directement au sein des communautés. Ils diffusent des informations sur la tuberculose, ses modes de transmission, ses symptômes caractéristiques, les méthodes de dépistage et de traitement, ainsi que les risques liés à l’absence de prise en charge. Grâce à ces sessions, les habitants sont mieux informés et nous aident à identifier les personnes symptomatiques dans leur communauté. Nous effectuons alors des prélèvements d’expectoration pour un dépistage gratuit. Si l’analyse confirme la tuberculose, nos agents accompagnent les patients vers les centres de santé pour commencer immédiatement leur traitement.
Quelle est la technologie utilisée pour détecter les cas de tuberculose ?
Negussie Beyene : La méthode standard dans la plupart des laboratoires reste la microscopie, une technique vieille de plus de 150 ans et dont l’efficacité est limitée : elle ne détecte que 30 à 40 % des cas réels. C’est pourquoi nous soumettons les échantillons déjà analysés par microscopie à des tests plus sensibles. Notre approche innovante utilise des rats spécialement entraînés en Tanzanie et qui peuvent identifier la tuberculose en flairant les échantillons. Lorsqu’un rat signale un échantillon suspect, nous confirmons le diagnostic par une technique moléculaire de pointe appelée « Xpert Ultra ».
Aline Serin : Le recours aux rats présente deux avantages majeurs. Le premier repose sur leur capacité à détecter rapidement les échantillons positifs, ce qui permet une prise en charge précoce des patients. Le second est qu’en les utilisant comme méthode de présélection, nous réduisons drastiquement les coûts de dépistage ; en effet, nous limitons ainsi l’usage des cartouches d’identification moléculaire, qui sont très onéreuses.

ils peuvent identifier la tuberculose en flairant les échantillons.
Quels ont été ou quels sont les défis les plus importants rencontrés dans le cadre de ce projet AHRI-APOPO ?
Negussie Beyene : C’est sans doute la mobilité des personnes. Celle-ci est accentuée par le projet Corridor, qui déplace les populations et démantèle certains centres de santé. La conséquence est que, parfois, les patients partent vers d’autres zones avant même qu’on puisse leur rendre les résultats du dépistage qu’on leur a proposé. Nous essayons de les retrouver en communiquant leurs noms aux responsables régionaux du Programme national de lutte contre la tuberculose pour que ceux-ci puissent les localiser et commencer le traitement. En collaboration avec les autorités sanitaires de la ville, nous travaillons à cartographier les relocalisations de ces populations urbaines.
Quelles sont les retombées du projet ?
Negussie Beyene : Le projet est bien accueilli et avance conformément à nos objectifs. Nous avons déjà couvert 6 aires urbaines et nous espérons atteindre les 11 aires urbaines et 49 districts d’Addis-Abeba d’ici 2026. En allant directement au plus près des individus, nous avons détecté 173 cas de tuberculose. Grâce au second axe de dépistage, nous avons identifié 752 cas supplémentaires. C’est un chiffre important, car une personne atteinte et non traitée peut en infecter 10 à 15 autres par an. Au total, plus de 140 000 personnes ont été sensibilisées à la tuberculose grâce à notre programme.
Aline Serin : Nous n’aurions pas pu déployer ce projet novateur sans l’aide de L’Initiative, qui est à la fois financière – près de 2 millions d’euros investis – et technique. Cet appui nous permet de tester des stratégies qui ne rentrent pas forcément dans le cadre du Fonds mondial.