DESPS : une innovation communautaire pour la santé et les droits des professionnels du sexe
A Madagascar, le projet DESPS (« Droits, Empowerment et Santé des personnes professionnelles du sexe »), porté par Médecins du Monde avec le soutien de L’Initiative, renforce l’accès aux soins et aux droits des professionnels du sexe le long de l’axe Antananarivo – Tamatave via une démarche de réduction des risques, un ancrage communautaire fort et un plaidoyer en faveur de politiques publiques inclusives. Rova Ralaindimby, responsable de programme, revient sur les actions, les résultats et les ambitions pour la santé des professionnels du sexe.
Pourquoi le projet DESPS est considéré comme innovant dans l’accompagnement des professionnels du sexe à Madagascar ?
Rova Ralaindimby : DESPS n’est pas seulement un programme à visée médicale : c’est une innovation communautaire. Nous avons structuré un réseau de quatre organisations de la société civile (AFSA, FIVEMIMAD, SISAL, Réseau LGBT) pour toucher chaque jour des centaines de professionnels du sexe de tout horizon via la voix de pairs éducatrices et pairs éducateurs (PE). Ces derniers, formés aux enjeux de santé sexuelle et reproductive, aux violences basées sur le genre, au VIH, aux infections sexuellement transmissibles et aux droits humains, deviennent les premiers relais sur le terrain. Au-delà de la distribution de préservatifs et de la réalisation de dépistages décentralisés, DESPS place l’empouvoirement des professionnels du sexe au cœur de l’action : les bénéficiaires ont été consultés dès la conception du projet, participent aux groupes de discussion et évaluent eux‑mêmes les activités.
Comment l’approche « par les pairs » change‑t‑elle la donne ?
Rova Ralaindimby : Les PE incarnent la confiance : ils partagent la même histoire, les mêmes craintes et savent rompre la barrière de la stigmatisation. Sur l’axe Antananarivo – Tamatave, ils organisent des maraudes hebdomadaires, distribuent des kits de prévention, animent des groupes de parole et accompagnent chaque professionnel du sexe vers le centre de santé le plus proche. Les résultats sont déjà là. Nous observons une hausse du recours aux centres de santé de base par les professionnels du sexe, une meilleure coordination entre acteurs, une plus grande implication des professionnels du sexe dans la vie associative et une montée en compétence des organisations de la société civile locales. Pour citer un témoignage marquant : à Moramanga, une PE a orienté une professionnelle du sexe vers un soin post‑avortement sécurisé, évitant de graves complications. Elle avait développé des séquelles après avoir interrompu sa grossesse par l’usage de tisanes.
Quelles sont les synergies avec les acteurs politiques et quels résultats de plaidoyer visez‑vous ?
Rova Ralaindimby : Nous menons un plaidoyer constant auprès du ministère de la Santé et des collectivités locales pour une meilleure reconnaissance des professionnels du sexe comme population clé. Après plusieurs journées d’échanges, certains centres de santé de base ont instauré des permanences non‑stigmatisantes, et des représentants de l’Assemblée nationale ont visité nos maraudes pour comprendre les réalités de terrain. À moyen terme, nous plaidons pour l’adoption d’un protocole national d’accueil des professionnels du sexe et l’inscription d’une ligne budgétaire dédiée aux intrants de prévention. À long terme, nous visons une réforme législative garantissant le droit à la santé et la protection contre les violences pour toutes et tous.
Comment le projet DESPS soutient‑il concrètement les PE ?
Rova Ralaindimby : Au‑delà de leur engagement sur le terrain, nous assurons aux PE un suivi technique régulier : formations continues (droits et santé sexuels et reproductifs, violences basées sur le genre, techniques de négociation et d’autodéfense), accompagnement psychosocial, indemnités pour les maraudes nocturnes et fourniture de matériel de sécurité (lampes torches, gilets haute visibilité, téléphone de liaison). Ces mesures leur permettent de travailler en confiance et de surmonter les risques d’insécurité et d’épuisement professionnel. Nous organisons aussi des groupes d’analyse pour qu’elles et ils partagent leurs expériences, identifient collectivement des solutions et renforcent leur rôle de leaders communautaires.
Quels sont les principaux défis et la vision pour l’avenir ?
Rova Ralaindimby : Les ruptures de stock d’intrants (préservatifs, équipements de dépistage) et la nécessité d’agir pour l’implication des autorités locales restent nos plus gros freins. Nous avons mis en place des stocks tampons et renforcé la gestion logistique dans les centres de santé de base appuyés. Pour l’avenir, nous souhaitons consolider les circuits de référencement, généraliser le modèle DESPS à l’échelle nationale et élaborer un guide de bonnes pratiques pour les politiques publiques. Notre conviction : sans inclusion des professionnels du sexe dans la gouvernance sanitaire, les objectifs de lutte contre le VIH et les infections sexuellement transmissibles resteront hors de portée.