DREAMH : soutenir la santé mentale des personnes vivant avec le VIH au Vietnam grâce à l’action communautaire
Le projet DREAMH (Developing a Reinforced Access to Mental Health Care for Key Populations), porté par l’organisation SCDI (Centre for Supporting Community Development Initiatives), lance la troisième phase d’un programme soutenu par L’Initiative depuis près de dix ans. Initialement centrées sur les usagers de drogues, les actions sont désormais étendues à l’ensemble des populations clés et vulnérables, mobilisant toujours de la santé communautaire comme outil au service de la santé mentale : un enjeu ici placé au cœur de la riposte au VIH. Trang, responsable du projet, nous explique pourquoi.
DREAMH est la continuité des projets « Saving the Future ». Pourquoi avoir décidé de vous concentrer sur la santé mentale des personnes vivant avec le VIH en vous appuyant sur des outils de dépistage communautaire, et pourquoi avoir étendu cette approche à d’autres populations clés ?
Nguyen Minh Trang : Notre travail sur la santé mentale a commencé il y a de nombreuses années avec les personnes usagères de drogues, l’un des groupes les plus marginalisés du Vietnam et les plus exposés aux problèmes de santé mentale. L’idée de se concentrer sur cet axe est venue d’une réalité de terrain : on constate une forte prévalence de problèmes (dépression, anxiété, psychose) mais presque aucun accès aux soins en raison des lacunes du système (peu de psychiatres, forte stigmatisation, coût élevé).
Les communautés ont demandé un outil de dépistage simple et rapide. Nous avons co-développé l’outil de dépistage rapide Quick Screening Tool (QST) avec des experts, conçu pour être rapide, acceptable et efficace en contexte communautaire. Le modèle, qui a d’abord été testé dans le projet DRIVE-Mind pour les personnes qui utilisent des drogues, a fait preuve de des résultats convaincants : le dépistage par les pairs était accepté, le soutien communautaire facilitait le maintien dans les soins, et près de 80 % des personnes présentaient une amélioration clinique après un an. Plus tard, le projet Saving the Future a confirmé que répondre aux besoins en santé mentale réduisait les comportements à risque et améliorait l’efficacité des services de lutte contre le VIH.
Ces succès montrent que la prise en charge de la santé mentale par la santé communautaires est efficace y compris dans un contexte de ressources limitées. Avec DREAMH, nous étendons à présent cette approche à toutes les populations clés affectées par le VIH, en nous appuyant sur dix ans d’apprentissage et d’adaptation du modèle. L’idée vient des besoins de la communauté et des preuves empiriques, démontrant que les approches menées par la communauté améliorent les vies et soutiennent l’ensemble de la réponse au VIH.
Comment construisez-vous des réseaux d’action communautaires dans un pays défiant envers les usagers de drogues, et où le manque de financements relègue la santé mentale au second plan dans la lutte contre les pandémies ?
Nguyen Minh Trang : Le déficit de prise en charge en matière de santé mentale au Vietnam crée un environnement difficile pour les usagers de drogues (UD/UDI) et les organisations qui les soutiennent. Cela rend essentiels les réseaux d’action communautaires coordonnés par les pairs, car ils sont le seul moyen sûr d’atteindre les personnes dans le besoin. Depuis 2010, SCDI renforce les organisations à base communautaires (OBC), dirigées par des membres des communautés (UDI, travailleurs du sexe, etc.). Leur force réside dans la confiance et la proximité, permettant au modèle de fonctionner malgré des conditions restrictives.
Nos trois stratégies clés sont :
- Renforcer les capacités au sein de la communauté : étant donné la rareté des psychiatres, nous formons les travailleurs communautaires (pairs) à utiliser le test de dépistage rapide (TDR), à assurer un accompagnement psychologique et à référer les cas sévères. Cela déplace le dépistage précoce vers le niveau communautaire, un espace sûr.
- Travailler main dans la main avec les autorités locales : les relations de longue date de SCDI avec les gouvernements locaux permettent aux OBC de travailler. Des réunions régulières assurent transparence et coopération, montrant que la gestion communautaire réduit les crises de santé publique.
- Concevoir des interventions durables et peu coûteuses : notre modèle est efficient. Les pairs utilisent le TDR rapide, et les interventions de groupe (comme les cercles de guérison) sont peu coûteuses. Nous collaborons avec les structures pour utiliser l’assurance santé afin de réduire le prix des médicaments.
Les contraintes du quotidien rendent l’approche communautaire d’autant plus indispensable. En autonomisant les pairs, en coopérant avec les autorités et en utilisant des outils simples fondés sur des preuves, nous créons des réseaux d’action capables de fournir des soins en santé mentale accessibles, acceptables et durables.
Comment prenez-vous en compte le genre et quelles actions déployez-vous pour réduire les inégalités de traitement en matière de santé mentale chez les personnes vivant avec le VIH ?
Nous intégrons la dimension de genre selon trois approches :
- Outils et interventions sensibles au genre : nous concevons les outils de dépistage rapide et les évaluations en recrutant des bénéficiaires issus de diverses identités de genre et sous-groupes (par exemple, des personnes transgenres, des travailleurs et travailleuses du sexe, des personnes usagères de drogues ou vivant avec le VIH). Cela garantit que les outils reflètent les besoins spécifiques des femmes, des hommes et des personnes de genre divers. Nous ventilons les données pour ajuster efficacement les interventions.
- Formations sur les SOGIES et les approches centrées sur les traumatismes : nos agents communautaires et les psychiatres provinciaux reçoivent une formation sur les SOGIES (orientation sexuelle, identité et expression de genre, caractéristiques sexuées), les soins tenant compte des traumatismes, l’identification des risques spécifiques au genre (exemple : violences basées sur le genre, stigmatisation) et les pratiques d’affirmation de genre. Cela améliore la sécurité et la qualité des soins.
- Réduire les inégalités par l’accessibilité : les groupes marginalisés (comme les femmes transgenres ou les travailleuses du sexe) délaissent souvent les services de soin car elles craignent la stigmatisation voire la répression. Notre approche communautaire permet d’offrir ces services dans des espaces sûrs. Les OBC dépistent, conseillent et accompagnent les bénéficiaires. Pour pallier les difficultés financières, DREAMH couvre des coûts comme l’assurance ou le transport. Nous proposons également des groupes de soutien ciblés (cercles de femmes, sessions entre personnes transgenres) pour favoriser l’affirmation.
L’objectif final est simple : personne ne doit être exclu des soins en santé mentale en raison de son genre, de son identité, de sa profession ou de son statut sérologique. Notre système prend racine dans les communautés, respecte la dignité et s’adapte aux réalités vécues.