Eamonn Murphy : « Sans leadership communautaire, aucune réponse VIH n’est durable »

Eamonn Murphy : Nous avons démarré au moment où la riposte mondiale au VIH entrait dans une crise de financement sans précédent. Les gouvernements et les communautés ont fait preuve cette année d’un leadership remarquable pour faire face à leurs défis budgétaires. Mais sans action supplémentaire, les disruptions risquent de compromettre la prévention, le traitement et les droits.

Notre projet avec L’Initiative aide les pays à pivoter vers un financement plus domestique, en particulier pour les éléments les plus sous-financés : les programmes destinés aux populations clés et les services communautaires. Les premiers résultats portent sur la mise en œuvre active de plans solides. Les quatre pays avancent désormais à bon rythme dans leur planification de la durabilité :

  • La Thaïlande priorise la pérennité des réponses communautaires. C’est essentiel pour atteindre les populations les plus exposées.
  • Le Vietnam élabore une stratégie ciblée sur les provinces, où se décident budgets et accès aux services.
  • Le Cambodge s’aligne sur un paysage financier en évolution, les nouvelles orientations mondiales et ses stratégies de sortie du statut de PMA (pays les moins avancés).
  • Le Laos a mené une évaluation nationale de durabilité pour ancrer ses priorités.

Ces feuilles de route sont comme un plan de vol : elles tracent la trajectoire la plus efficace pour le financement, surtout quand l’appui extérieur diminue. Nous aidons aussi les pays à produire les données qui permettent de dépenser chaque ressource de manière pertinente.

Cette initiative s’appuie sur des années de travail déjà menées par les gouvernements et les communautés pour ajuster les choix programmatiques. Nous sommes très reconnaissants au gouvernement et au peuple français pour leur rôle catalyseur dans cet effort déterminant.

La réforme du financement n’est pas un interrupteur. C’est un changement de système. Cela exige des données, de la coalition avec les gouvernements et les communautés, et de la persévérance. L’ossature est désormais en place. Dans les quatre pays, les gouvernements pilotent des feuilles de route de durabilité qui intègrent explicitement le financement du VIH — comment protéger la prévention, le traitement et les services communautaires dans les budgets nationaux.

En Thaïlande, qui finance déjà plus de 90 % de sa riposte au VIH, le projet aide à améliorer les flux financiers vers les prestataires communautaires. Il soutient aussi la réflexion sur des sources de financement supplémentaires, y compris privées. Au Vietnam, le financement domestique a progressé régulièrement et le traitement est désormais couvert par l’assurance maladie. Le pays travaille aujourd’hui à intégrer le VIH dans les instruments élargis de financement de la santé et les budgets provinciaux, afin que la prévention soit financée là où les personnes accèdent réellement aux services.

Dans tous les pays, nous aidons les gouvernements à intégrer la riposte au VIH dans la planification politique et budgétaire de long terme. C’est la seule voie vers la durabilité.

Community Health Session Woman Hat Unaids
Session de santé communautaire au Vietnam

Il n’existe pas de réponse VIH durable sans leadership communautaire. Pourtant, beaucoup d’organisations communautaires dépendent de financements extérieurs et subissent les chocs budgétaires en premier. Avec nos partenaires, nous documentons les coûts réels des services communautaires afin que les planificateurs puissent les inclure dans les besoins de ressources et les mécanismes de contractualisation sociale. Ce travail est engagé au Cambodge et au Laos. Nous accompagnons aussi les organisations de la société civile pour qu’elles puissent accéder à des financements publics domestiques, mobiliser le soutien du secteur privé et diversifier leurs ressources locales. L’objectif reste le même : réduire la dépendance à un seul bailleur.

Les leaders communautaires recevront aussi une formation en financement de la santé et en plaidoyer budgétaire, pour dialoguer d’égal à égal avec les planificateurs et les responsables financiers. Le projet facilitera par ailleurs les apprentissages Sud-Sud. Nous souhaitons mettre en avant l’approche thaïlandaise qui garantit la présence des communautés dans les instances de décision : leur représentation est déjà intégrée au Comité national de lutte contre le sida et au sous-comité du National Health Security Office (NHSO) dédié à la Couverture santé universelle. Dans le cadre du projet, la coalition thaïlandaise d’ONG (TNCA) et le réseau des personnes vivant avec le VIH pilotent une feuille de route communautaire pour la durabilité. Les organisations thaïlandaises s’engagent déjà dans les canaux de financement domestique, tout en renforçant leurs capacités à orienter la riposte et à accéder aux ressources de manière plus efficace.

Trois risques majeurs se dégagent. D’abord, des baisses soudaines de financement extérieur qui fragilisent les programmes essentiels — surtout la prévention et les services destinés aux populations clés et aux communautés. Ensuite, les changements politiques susceptibles de ralentir des réformes en cours. Enfin, des choix politiques ou programmatiques qui ne suivent pas le rythme des données : même quand les analyses épidémiologiques et financières montrent ce qui fonctionne, les populations clés restent parfois sous-financées pour des raisons complexes. Les pays tardent aussi parfois à adopter et à généraliser des innovations efficaces et économiquement pertinentes.

Le projet vise à répondre à ces risques en contribuant à cinq transformations clés :

  • Ancrer les réformes dans les politiques nationales, les plans provinciaux et les budgets pluriannuels, pour qu’elles résistent aux changements politiques.
  • Accélérer le financement domestique, via l’assurance maladie, les allocations provinciales et la contractualisation sociale.
  • Maintenir un flux continu de données — coûts, dépenses, modélisation — pour orienter chaque dollar là où il évite le plus d’infections.
  • Soutenir le leadership communautaire, pas seulement l’exécution : leurs services doivent être intégrés, budgétés et protégés.
  • Assurer la continuité des financements extérieurs, indispensable pour préserver les acquis pendant que les pays renforcent leurs financements domestiques.

À mesure que l’Asie-Pacifique avance vers l’objectif de mettre fin au sida d’ici 2030, un élan se confirme. Notre responsabilité commune est de convertir les tensions actuelles en leviers de résilience et d’impact durable.