Au cours des dix dernières années, la morbidité et la mortalité dues au paludisme ont considérablement diminué au Cambodge. Bien qu’en 2018 le pays déclarait pour la première fois une mortalité nulle due au paludisme, son élimination reste aujourd’hui compromise.
« Au Cambodge, contrairement à l’Afrique, la majorité des moustiques qui transmettent le paludisme se trouvent en zone forestière. C’est donc là que les personnes sont infectées », explique Patrice Piola, chercheur au sein de l’Institut Pasteur du Cambodge. La persistance de la maladie infectieuse en zones rurales cambodgiennes est donc principalement attribuée aux personnes traversant ou vivant dans les forêts. Les mécanismes de transmission du paludisme en milieu forestier n’ont cependant pas encore été étudiés et présentent probablement plusieurs spécificités, impliquant des mesures de contrôle spécifiques à la forêt et à ses populations.
Atteindre des populations reculées
Au Cambodge, la population mobile et migrante des travailleurs de forêts, comme les coupeurs de bois, est originaire des provinces éloignées du pays mais aussi des pays limitrophes (Viêt Nam, Thaïlande et Laos). Environ 7 000 travailleurs des forêts sont identifiés sur le territoire national, dont 90% d’hommes. Ces travailleurs quittent leur village au matin pour travailler dans les forêts, parfois plusieurs jours durant. Or, au Cambodge, le principal facteur de risque associé au paludisme est la plus forte activité nocturne des moustiques vecteurs du paludisme. Les familles de ces travailleurs, estimées à 30 000 personnes pour les forêts étudiées par l’Institut Pasteur du Cambodge, vivent à l’intérieur ou aux alentours des forêts. Bien qu’ayant accès au système de santé, nombre d’entre elles souffrent de malnutrition et de maladies telles que la tuberculose et le paludisme. De plus, les habitations forestières sont souvent complètement ou partiellement ouvertes sur l’extérieur, et les moustiquaires imprégnées ne sont pas parfaitement utilisées. Le risque d’infection par le paludisme importé de la forêt est ainsi augmenté.
Face à ce constat, l’Institut Pasteur du Cambodge s’est proposé d’étudier les mécanismes de transmission du paludisme en forêt, afin d’améliorer les stratégies visant à éliminer rapidement le réservoir de parasites grâce à des interventions communautaires dans les forêts. « Il s’agit d’abord de comprendre l’épidémiologie du paludisme en zone forestière, puis de l’éliminer avec des interventions adaptées. Actuellement, l’action contre le paludisme se situe en dehors des forêts. Depuis 2018, des agents communautaires se déplacent en forêt sans y rester. L’installation permanente de notre projet au cœur du réservoir de cette maladie nous fait espérer qu’il sera possible de la faire chuter dans la forêt et dans les centres de santé environnants. Pour ce projet, nous avons donc choisi de collaborer avec des coupeurs de bois que nous équipons et que nous formons. Nos forêts d’étude sont sectorisées et dans chaque secteur, un travailleur mène à bien les procédures d’étude, qui consistent principalement en un questionnaire électronique et des prélèvements sanguins », détaille Patrice Piola. D’un montant de plus d’un million d’euros euros et d’une durée de près de trois ans, ce projet est le fruit d’un partenariat avec le programme national de lutte contre le paludisme et l’ONG Partners for Development.
Documenter et prévenir la transmission du paludisme
L’Institut Pasteur du Cambodge et ses partenaires ont mis en place en 2019 le premier réseau de travailleurs forestiers spécialisés dans la lutte contre le paludisme au sein des forêts. Près de 600 kilomètres carrés d’espaces forestiers à Mondulkiri, Stung Treng et Kratie ont été couverts par 30 agents, recrutés parmi les habitants de la forêt eux-mêmes. Ils ont travaillé en étroite collaboration avec les communautés locales et ont ainsi collecté des données auprès de 3 179 travailleurs. Celles-ci ont permis de mieux comprendre l’épidémiologie du paludisme à l’intérieur des zones forestières étudiées.
En 2020, les agents du réseau sont intervenus auprès de leurs pairs, en proposant des tests : les personnes détectées positives au paludisme ont été soignées. Parallèlement, un traitement préventif intermittent mensuel a été prescrit aux travailleurs des forêts. L’efficacité du traitement préventif a été évaluée lors de trois études transversales entre septembre 2020 et janvier 2021. En octobre 2020, suite à la saison des pluies présentant habituellement les notifications annuelles de paludisme les plus élevées, seulement 28 cas de Plasmodium falciparum, l’espèce de paludisme responsable des cas mortels, ont été notifiés dans tous les centres de santé du Cambodge. Les premiers résultats de l’étude ainsi que des recommandations pour réduire l’incidence du paludisme dans les forêts au Cambodge ont été publiés par l’Institut Pasteur du Cambodge (Choosing interventions to eliminate forest malaria: preliminary results of two operational research studies inside Cambodian forests).