La riposte contre le VIH à Madagascar
A Madagascar, face à une prévalence du VIH officiellement estimée à 0,5 % mais probablement sous‑évaluée, L’Initiative renforce son soutien à la riposte contre le virus. Deux acteurs partagent leur regard : Dr. Christophe Vanhecke, conseiller régional en Santé mondiale (CRSM) en océan Indien jusqu’en août 2025, et Dr. Kablan Prao Raimond, expert résidentiel VIH soutenu par L’Initiative.
VIH à Madagascar : quelle est la situation épidémiologique ?
Christophe Vanhecke : La dernière enquête nationale date de 2009 et plaçait la prévalence à 0,5 % via le modèle Spectrum ONUSIDA. Actuellement le profil épidémiologique du VIH à Madagascar est encore concentré sur les populations clés – hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (18 %), personnes usagères de drogues (13 %) et personnes travailleuses du sexe (11 %).
Or, des études régionales récentes font craindre un glissement vers la population générale – jusqu’à 3 % dans certaines zones – et une prévalence de 10 % à 13 % sur les grands axes routiers. La situation est alarmante : selon l’ONUSIDA (2023), il est estimé que seulement 23 % des 76 000 personnes vivant avec le VIH connaissent leur statut et 22 % seraient sous antirétroviraux (ARV : médicaments bloquant la multiplication du virus). D’où l’importance de mener une enquête de séroprévalence VIH et syphilis, cofinancée par L’Initiative, l’Organisation mondiale de la Santé, l’UNICEF et le Fonds mondial, pour disposer de données actuelles et orienter efficacement la riposte.
Kablan Prao Raimond : Ces chiffres guident directement nos priorités : accroître le dépistage, rapprocher l’offre de soins et réduire les ruptures de traitement. Si, demain, l’enquête confirme une diffusion plus large, il faudra adapter le Plan stratégique national VIH (PSN) pour toucher la population générale, tout en maintenant un focus sur les populations clés. Selon l’Enquête de Surveillance Biologique et Comportementale de 2022 (ESBC-2022) chez les populations clés vivant avec le VIH, seulement 27,6 % des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes, 20 % des personnes usagères de drogues et 17,9 % des personnes travailleuses du sexe connaissaient leur statut sérologique.
Comment la délégation des tâches renforce-t-elle l’offre de services VIH ?
Kablan Prao Raimond : Arrivé en janvier 2025 et soutenu par L’Initiative, mon rôle est d’accompagner le pays à mettre en place une stratégie de délégation des tâches en matière d’offre de services VIH vu les défis de ressources humaines dans le domaine de la santé et les difficultés à atteindre les objectifs en matière de lutte contre le VIH-sida.
La délégation des tâches en matière de lutte contre le VIH se départage en plusieurs piliers comme faire exécuter des actes de dépistage et de suivi par les infirmiers, pairs‑éducateurs ou agents de santé communautaires, pour pallier le manque criant de médecins. Nous visons à décentraliser l’offre jusqu’au centre de santé de niveau I, optimiser les 3 × 95 (au moins 95 % des personnes vivant avec le VIH connaissent leur statut VIH ; au moins 95 % des personnes qui connaissent leur statut VIH suivent un traitement ARV ; au moins 95 % des personnes sous traitement ont une charge virale indétectable) et garantir l’accès des services VIH aux populations marginalisées.
Par exemple, au centre de santé de base n°2 d’Ambilobé, des paramédicaux réalisent désormais le test VIH puis initient le traitement en ARV – une pratique que nous préconisons pour être dupliquée à l’échelle nationale.
Quel rôle joue L’Initiative dans la riposte contre le VIH ?
Christophe Vanhecke : L’Initiative agit comme catalyseur en matière de lutte contre le VIH.
Les interventions s’appuient sur une double logique : proximité communautaire (organisation, pairs‑éducateurs, agents de santé communautaires) et renforcement des capacités, notamment institutionnel et organisationnel (formation, plaidoyer, coordination).
Son action complète les interventions de Gavi et du Fonds mondial : financement de projets innovants à visée catalytique, de l’enquête séroprévalence, renforcement du Programme national de lutte contre le VIH/Sida, assistances techniques en direction du ministère de la Santé, et animation du « triptyque France » (Ambassade, Agence française de développement, Expertise France) pour une coordination bilatérale et multilatérale. Elle veille aussi à l’alignement des projets de lutte contre le VIH à des projets en matière de tuberculose, paludisme, droits et santé sexuels et reproductifs, cancer du col de l’utérus – pour une réponse globale.
Quels défis majeurs restent à relever ?
Kablan Prao Raimond : La pénurie de personnels de santé qualifiés, en nombre très insuffisant, et la vétusté des infrastructures freinent l’offre de soins. Déléguer des tâches est un des aspects de la lutte, mais il faut aussi renforcer l’engagement institutionnel et la coordination, mobiliser des ressources additionnelles pour la mise en œuvre et l’extension de la stratégie et assurer la qualité des services.
Christophe Vanhecke : Malgré les efforts de renforcement du système de santé du gouvernement, la population malgache est encore insuffisamment protégée face aux problèmes de santé. Les principaux défis pourraient résider dans la mise en place effective de la Couverture santé universelle, pour un accès équitable à des soins de qualité, l’amélioration de la couverture vaccinale de l’enfant, le renforcement des infrastructures et des ressources humaines en santé. Le budget de l’État pour la Santé est insuffisant compte tenu des besoins.
Quelles sont vos perspectives ou espoirs contre le VIH à Madagascar ?
Kablan Prao Raimond : Dans les prochaines années, je souhaite voir le plan opérationnel sur la délégation des tâches mis en œuvre. La délégation des tâches servira de tremplin vers un modèle inclusif, où chaque acteur, renforcé en capacités – centres de santé, ONG communautaires, pairs éducateurs – contribue à l’objectif 95 95 95.
Christophe Vanhecke : Pour lutter efficacement contre le VIH, il faut axer les activités sur la sensibilisation à la maladie et dépistage précoce particulièrement chez les jeunes (femmes enceintes, lycéens étudiants).
L’avenir passe par la formation des professionnels de santé et une coordination régionale renforcée : Comores, Madagascar, Maurice et Réunion doivent partager leurs savoir faire, leurs technologies de dépistage et leurs retours d’expérience. Via L’Initiative et plus globalement l’appui de la France, les bénéfices de cette stratégie se font déjà ressentir.