La stratégie 4×4 : quadrupler le nombre de professionnels de santé du Rwanda en quatre ans
En dépit d’efforts considérables consacrés à améliorer l’accès à la santé ces 30 dernières années, le Rwanda connaît un déficit de ressources humaines en santé, portant ainsi atteinte à la couverture universelle en santé. Avec la ferme volonté de combler ce manque, le pays a lancé sa réforme 4×4 en juillet 2023 afin de quadrupler le nombre de professionnels de santé formés en quatre ans et améliorer la qualité de la formation en santé. Dr. Menelas Nkeshimana, chef du Département de développement des Ressources Humaines en Santé au Ministère de la Santé du Rwanda, revient sur les objectifs de la réforme 4×4 et sur le soutien que L’Initiative y apporte.
Pouvez-vous nous en dire plus sur le contexte rwandais qui a conduit à l’élaboration de cette stratégie 4×4 ?
Cela commence avec la densité des ressources humaines en santé que nous avons. Au Rwanda, nous avons un professionnel de santé qualifié – pharmaciens, infirmiers, personnel de maternité et médecins – pour 1 000 habitants, alors qu’il en faut environ quatre selon les standards OMS. Ce qui signifie que chaque prestataire fait un travail qui est censé être fait par quatre personnes.
Cette pénurie entraîne une série de défis : lorsque vous avez très peu de personnel affecté aux soins cliniques, ils ne peuvent par exemple pas former les étudiants puisqu’ils se consacrent à leur travail clinique. On observe aussi une concentration des professionnels de santé dans les villes, tandis que d’autres zones ne sont pas correctement desservies : la population doit parcourir de longues distances pour accéder à des services qui devraient lui être offerts à proximité. C’est pourquoi l’initiative 4×4 vise à résoudre ce problème de densité en quadruplant le nombre de professionnels de santé, en maximisant l’inscription des étudiants dans les études de santé, et en développant davantage de programmes de formation en santé qui soient basés sur les besoins sanitaires de la population.
Mais cette réforme ne consiste pas seulement à produire des ressources humaines en santé – il s’agit de les retenir là où on a besoin d’eux. En équipant les hôpitaux d’équipements modernes et étendant d’infrastructures, nous contribuons à créer des incitations non monétaires agissant sur la rétention du personnel. Quand l’environnement de travail est agréable, l’équipement fonctionnel, vous vivez près de l’hôpital, avec un accès facile au transport, et des installations pour, par exemple les mères allaitantes – tout cela transforme positivement l’environnement de travail. Toute cette transformation va jouer énormément sur la rétention. Nous croyons que le déploiement va maintenant être beaucoup plus facile, beaucoup plus équitable, à travers le Rwanda et au-delà.
Quels sont les premiers succès mais aussi les défis persistants de la stratégie 4×4 ?
La stratégie montre déjà des résultats prometteurs : En décembre dernier, nous avions multiplié par 3,7 le nombre d’inscriptions dans les programmes de santé. D’ici fin 2025, nous espérons aller encore plus loin en utilisant tous les places de formation universitaire en santé disponibles, tout en veillant à ce que les conditions environnantes sont en place, le corps professoral, l’équipement – tout doit aller de pair.
Cependant, des défis subsistent et notre stratégie 4×4 est très ambitieuse. Nous voulons faire beaucoup, mais cela nécessite bien sûr des ressources financières importantes. Trouver du personnel enseignant spécialisé est un autre défi – en particulier dans des domaines comme la maïeutique avancée. Lorsqu’on ne peut pas trouver d’enseignants spécialisés au Rwanda, nous faisons appel à des enseignants étrangers, avec une exigence de disponibilité d’au moins six mois, afin qu’ils puissent bien s’approprier le contexte de travail et assurer un transfert de compétences de qualité.
Nous ne pouvons pas sacrifier la qualité au profit de la quantité – nous avons besoin des deux. La qualité est assurée grâce à des ratios appropriés enseignants-étudiants et des méthodes pédagogiques modernes. Le manque d’enseignants est un défi, mais cela constitue aussi une opportunité de recourir aux plateformes numériques, permettant d’offrir des cours synchronisés entre plusieurs instituts de formation. La réforme 4×4 met également l’accent sur la standardisation: les formations en santé doivent suivre un programme harmonisé au niveau national, ce qui permet aux enseignants de dispenser un contenu cohérent et synchronisé. La formation des sage-femmes dispensée dans nos universités a déjà pu être harmonisée avec l’appui du FNUAP. L’appui de L’Initiative nous permet de nous attaquer maintenant à l’harmonisation des formations en sciences infirmières.
Comment vos partenaires tels que L’Initiative et l’Agence Française de Développement contribuent-ils à la réforme 4×4 ?
La stratégie bénéficie de partenariats solides, notamment L’Initiative d’Expertise France et l’Agence Française de Développement (AFD). Ainsi, L’Initiative a apporté son soutien à plusieurs niveaux. Une de ses contributions marquantes a concerné l’université INES-Ruhengeri (Musanze, Rwanda), qui avait des difficultés à structurer ses nouveaux programmes de formation en santé et à engager des enseignants. L’assistance technique fournie a permis de présenter des programmes de qualité au Conseil de l’Enseignement Supérieur. Par la suite, L’Initiative a attribué une subvention de 5 millions d’euros pour la mise en œuvre de la stratégie 4×4, finançant notamment des bourses étudiantes, du matériel pédagogique, l’harmonisation des programmes infirmiers, ainsi que le soutien aux enseignants nationaux et étrangers.
Enfin, l’AFD contribuent de manière importante à différents domaines liés, et notamment la réhabilitation de l’hôpital universitaire de niveau 2 de Ruhengeri. Ces efforts concertés visent à atteindre les objectifs de la réforme en un temps limité. L’exécution est soigneusement coordonnée: nous veillons à créer des synergies entre les parties prenantes pour éviter les doublons. Chacun s’engage sur différents volets – certains se concentrent sur les équipements, d’autres sur l’infrastructure. Tout est mis sur la table dans un cadre d’auto-évaluation pour suivre les progrès.
Une fois que vous avez formé plus de meilleure de professionnels de santé et amélioré leur qualité, quelle est la prochaine étape ?
La vision dépasse les frontières du Rwanda: nous recevons des patients du Burundi, du Congo, de l’Ouganda et de l’ouest de la Tanzanie. Le Rwanda est un pays ouvert, sans exigence de visa. Beaucoup de personnes qui se rendaient auparavant hors du continent pour se soigner commencent à envisager de venir ici en premier lieu.
Cette perspective régionale est au cœur de la stratégie: tout cela apportera des bénéfices au-delà de nos frontières, en s’intégrant à une ambition continentale. Nous sommes confiants dans le fait que nos étudiants atteindront les standards de compétences internationaux, renforçant leur confiance en eux et dans leur formation. Ils sauront qu’ils peuvent être employés partout, mais nous pensons qu’ils choisiront d’abord le Rwanda – qui sera prêt à servir toute la région.
Ecoutez les témoignages d’étudiants, de professeurs et du doyen de l’université INES-Ruhengeri sur les progrès permis grâce au soutien de L’Initiative :
Comment la réforme 4×4 sera-t-elle mise en œuvre ? – Vers un quadruplement du niveau de ressources humaines en santé d’ici 4 ans; Améliorer la quantité et la qualité des soins.
1. Augmenter le nombre d’étudiants inscrits dans les programmes de santé prioritaires et améliorer la qualité des formations
Le Ministère de la Santé vise à inscrire un nombre significatif de professionnels de santé dans les domaines prioritaires des formations universitaires en santé incluant la médecine nucléaire, spécialisation médicale, formation de sage-femmes, anesthésie, imagerie médicale, thérapie dentaire, ophtalmologie, laboratoire biomédical et autres. Ces domaines présentent les plus grands écarts en termes d’inscription et représentent une main-d’œuvre essentielle pour répondre aux prioritaires sanitaires de la population rwandaise. Les programmes de spécialisation en oncologie, cardiologie, néphrologie et néonatologie sont également prioritaires pour les médecins et les infirmiers.
2. Recruter de façon pérenne un corps enseignant local et inviter des enseignants étrangers pour répondre aux besoins immédiats
Compte tenu du nombre limité d’enseignants qualifiés dans les universités publiques et privées, le Ministère de la Santé et ses partenaires soutiennent le recrutement de personnel enseignant pour les facultés de médecine, les écoles de soins infirmiers et de sages-femmes, ainsi que les hôpitaux universitaires. Une des actions clés consiste à redéployer des professionnels de santé locaux, issus des structures de santé publiques et privées, vers des rôles d’enseignement dans les hôpitaux universitaires et les sites de formation. Pour combler les besoins urgents, des enseignants étrangers sont également recrutés pendant que davantage d’enseignants locaux sont formés.
3. Améliorer la capacité de formation et les sites d’enseignement
En cohérence avec les objectifs précédents, la réforme 4×4 met l’accent sur l’amélioration des infrastructures existantes et l’expansion de leur capacité afin d’accueillir davantage d’étudiants, de personnel et de programmes. Le ministère de la santé et ses partenaires aident les facultés de médecine à agrandir leurs installations de formation et à développer les infrastructures selon des normes de qualité établies. Dix hôpitaux universitaires de niveau 2 sont modernisés, équipés et dotés de personnel afin de servir de sites de formation tout en améliorant les soins prodigués aux patients.
4. Coordination de la mise en œuvre de la réforme 4×4
Une coordination et un suivi solides sont essentiels pour garantir le succès de la mise en œuvre de la réforme 4×4, afin d’optimiser les résultats attendus et de mesurer son impact. Le Département du Développement des Ressources Humaines en Santé du Ministère assure la coordination quotidienne de toutes les institutions participantes et veille à la qualité de l’enseignement médical. Le système de gestion de l’éducation à la santé permet de suivre efficacement tous les programmes et de mieux planifier et répartir les professionnels clés en fonction de l’évolution de la charge de morbidité dans le pays. Un comité de pilotage, co-présidé par le ministre de la santé et le ministre de l’éducation, rassemble trimestriellement les universités, les hôpitaux universitaires et les conseils professionnels pour évaluer les progrès de la réforme 4×4. Enfin, un forum des partenaires au développement soutenant la réforme 4×4 a également été mis en place pour mobiliser les ressources et coordonner les efforts de mise en œuvre.