Mobiliser la recherche opérationnelle pour donner un accès effectif au dépistage et à la vaccination contre le HPV

La stratégie mondiale « 90-70-90 » adoptée par l’OMS en 2020 fixe trois cibles à atteindre d’ici 2030 :

  • 90 % des filles vaccinées contre les HPV avant 15 ans ;
  • 70 % des femmes dépistées à 35 puis 45 ans avec un test HPV performant
  • 90 % des femmes présentant des lésions précancéreuses ou cancéreuses ayant accès au traitement.

Mais dans de nombreux pays, leur atteinte se heurte à des contraintes opérationnelles persistantes : capacités de laboratoire limitées, organisation irrégulière du transport des échantillons, hétérogénéité des modèles de triage, disponibilité variable du traitement et pertes de suivi après un test positif. À cela s’ajoutent des obstacles liés à l’intégration progressive du dépistage HPV dans les directives nationales et à la maîtrise encore inégale des techniques au sein des services. Pour tenter de pallier ces contraintes, L’Initiative finance depuis 2023 trois projets de recherche opérationnelle au Cameroun et au Ghana, portés par des laboratoires de recherche français et locaux et des institutions nationales engagées. Leur objectif : produire des preuves contextualisées permettant d’adapter les stratégies nationales aux réalités du terrain.

C3UC3, conduit par l’Institut Bouisson Bertrand, analyse les conditions réelles d’accès au dépistage HPV dans les formations sanitaires de Yaoundé et de ses périphéries. Le projet montre que l’entrée des femmes dans le parcours ne dépend pas seulement de la disponibilité du test, mais d’un ensemble de facteurs sociaux, économiques et relationnels : perception du risque, capacité à se projeter dans un parcours comportant plusieurs étapes, mobilité, confiance dans les services, rôle des agentes communautaires, exposition aux violences de genre.

Dans ce contexte urbain pourtant doté d’infrastructures, l’auto-prélèvement, globalement bien accepté, ne suffit pas à lever les obstacles lorsque l’information est floue ou lorsque la prise en charge apparaît peu lisible. C3UC3 souligne l’importance du travail d’intermédiation – counseling, accompagnement, traduction des messages techniques – pour transformer une offre de dépistage opérationnelle en un service réellement utilisé, notamment par les femmes vivant avec le VIH, dont le risque de développer un cancer du col est nettement plus élevé.

Retrouvez le témoignage de Laura Ciaffi, coordinatrice et conseillère scientifique du projet :

OPTI-TRI, mené par l’Institut de recherche pour le développement (IRD), s’intéresse à l’étape la plus déterminante du parcours : la prise en charge des femmes testées HPV positives. À l’inverse de C3UC3, le projet est mis en œuvre dans des zones rurales et périurbaines où les contraintes de distance, de ressources humaines et de supervision clinique structurent fortement la faisabilité du triage.

L’étude compare des configurations centralisées, décentralisées ou hybrides et analyse leur viabilité selon les territoires. Les premières données montrent que les modèles centralisés génèrent des pertes de vue importantes en raison des distances et des délais, tandis que les modèles décentralisés améliorent l’accès mais exigent une supervision clinique soutenue pour garantir la qualité des examens. OPTI-TRI met en évidence la variabilité de la colposcopie entre les plateformes, les difficultés de standardisation et l’apport potentiel d’outils d’aide à la décision, notamment l’analyse d’images, pour sécuriser l’interprétation clinique. Loin d’imposer un modèle unique, le projet précise les conditions concrètes permettant à chaque configuration de fonctionner durablement.

Au Ghana, la recherche opérationnelle conduite par le Noguchi Memorial Institute for Medical Research s’attaque à un angle mort majeur : malgré un risque jusqu’à six fois plus élevé de développer des lésions précancéreuses, les femmes vivant avec le VIH ne bénéficient pas encore d’un dépistage HPV systématique dans les ART Clinics. L’écart entre les standards internationaux, où le dépistage fait partie de la routine, et les pratiques locales justifie un travail de terrain approfondi.

Le projet examine la faisabilité d’un modèle intégré, testé dans plusieurs structures des régions Greater Accra, Central et Eastern. Il analyse la manière d’organiser, au sein même des services VIH, un parcours complet : information, prélèvement, analyse HPV par PCR (y compris via les plateformes GeneXpert existantes), interprétation du résultat et orientation vers le triage. Cette intégration implique aussi la formation de nurses au dépistage et à l’identification des lésions, dans un cadre où la charge de travail et la logistique doivent être rééquilibrées.

Les premiers enseignements montrent qu’un modèle “one-stop” réduit nettement les pertes de vue et renforce la continuité du parcours, à condition d’harmoniser les protocoles et d’assurer une supervision clinique minimale. Le projet produit également une documentation structurante (procédures, guides, protocoles) destinée à soutenir l’élaboration d’un futur modèle national d’intégration du dépistage HPV dans les services VIH.

SUCCES, HPV
034 Succes Process Auto Prélèvement 034 Succes Process Auto Sampling
A Abidjan en Côte d’Ivoire, des agentes de santé communautaires expliquent le principe d’auto-prélèvement pour dépister le HPV.

En portant l’analyse directement sur les trajectoires des femmes, la charge de travail réelle des équipes et le fonctionnement concret des structures, les trois projets apportent une lecture fine et complémentaire du fonctionnement du dépistage HPV. Ils éclairent les délais effectifs entre test et triage, l’organisation des services, la faisabilité des configurations centralisées ou décentralisées, les conditions d’un suivi cohérent pour les femmes vivant avec le VIH et les exigences minimales pour garantir la qualité du triage.

Ces données permettent aux autorités sanitaires de réviser leurs stratégies de manière réaliste : dimensionnement des laboratoires, organisation des flux, priorisation des districts, choix des modalités de triage, ajustement de la supervision clinique. En documentant les écarts entre modèles théoriques et fonctionnement réel, la recherche opérationnelle réduit l’incertitude et sécurise les décisions programmatiques.

La recherche opérationnelle occupe aujourd’hui une place centrale dans la riposte contre le cancer du col. Elle permet de dépasser les modèles théoriques ou les recommandations normatives pour mieux comprendre comment les femmes naviguent réellement dans le système, comment les équipes absorbent la montée en charge du dépistage et quelles configurations sont viables et pertinentes dans des environnements sous contrainte.

En produisant des données probantes ancrées dans les contextes locaux, la recherche opérationnelle offre aux décideurs un cadre solide pour adapter les politiques nationales et sécuriser la continuité du parcours dépistage–triage–traitement. C’est cette capacité à clarifier les conditions de faisabilité, à tester des configurations réalistes et à guider l’ajustement des politiques nationales qui fait de la recherche opérationnelle un levier essentiel de la progression vers l’élimination du cancer du col.