Pour protéger les femmes enceintes et les jeunes enfants contre le paludisme, des moyens de prévention simples ont fait leurs preuves. Mais ils n’atteignent pas toujours les personnes les plus vulnérables. Le projet de recherche Sucoppa se déroulera au Bénin de juin 2024 à juin 2028 avec le soutien de L’Initiative. Il vise à coconstruire de meilleurs moyens de sensibilisation avec les communautés. Rencontre avec les deux chercheurs à la tête de ce projet.
Gilles Cottrell
épidémiologiste et bio-statisticien, est chercheur à l’Institut de recherche pour le développement (IRD).
Armel Djenontin
entomologiste médical, est maître de conférences à l’université d’Abomey-Calavi (Bénin) et chercheur associé au Centre de recherche entomologique de Cotonou.
Quels sont les meilleurs moyen de prévention contre le paludisme, aujourd’hui ?
Armel Djenontin : Depuis cinq mois, le Bénin a commencé à recevoir des stocks de vaccins pour protéger les enfants de moins de deux ans. Les vaccins RTS,S (depuis 2019) et R21 (depuis décembre 2023) réduisent la proportion de cas graves de la maladie, mais ne protègent encore qu’une fraction de la population pour une durée limitée. Jusqu’à très récemment, le seul moyen de prévention était la protection contre les piqûres de moustique.
Gilles Cottrell : Les deux piliers de la prévention du paludisme chez la femme enceinte restent l’utilisation de moustiquaires imprégnées et la prévention via le traitement préventif intermittent (TPI), c’est-à-dire la prise de sulfadoxine-pyriméthamine à partir du quatrième mois de grossesse. Si les femmes ont déjà un paludisme diagnostiqué, elles reçoivent un autre traitement. Pour les enfants de moins de 5 ans, la chimioprévention du paludisme saisonnier (CPS) est mise en œuvre. Ce traitement préventif commence à partir du début de la saison de transmission et combine la prise de sulfadoxine-pyriméthamine à celle d’amodiaquine.
Pourquoi viser particulièrement les femmes enceintes et les jeunes enfants ?
Gilles Cottrell : Ce sont les deux populations les plus vulnérables. Les enfants de moins de cinq ans représentent la grande majorité de la mortalité face au paludisme. Une infection pendant la grossesse peut causer des problèmes placentaires, ce qui peut mener à une prématurité, un faible poids de naissance de l’enfant et d’autres complications.
Gilles Cottrell : La nouveauté avec le projet Strapa est son important volet anthropologique. Tout d’abord, une grande partie des femmes enceintes n’a pas toujours accès aux moustiquaires. La distribution se fait plutôt bien dans le secteur public, mais les centres de santé privés distribuent peu souvent les moustiquaires aux femmes enceintes. À cela s’ajoutent les pénuries fréquentes, même dans le secteur public. De plus, la prévention du paludisme ne représente qu’une petite partie du travail des équipes médicales des maternités.
Armel Djenontin : Nous avons constaté que de nombreuses femmes enceintes ne voient pas bien l’intérêt de remplacer leur moustiquaire par une moustiquaire neuve et imprégnée. Beaucoup considèrent que la moustiquaire servira à protéger le nouveau-né. Elles attendent donc la naissance pour utiliser la moustiquaire reçue lors de leur rendez-vous de suivi.
Gilles Cottrell : Cela prouve bien le manque de sensibilisation lors des consultations prénatales, où les sage-femmes n’ont pas le temps d’expliquer que la grossesse est un moment où la mère et l’enfant sont plus exposés et fragiles, et que la moustiquaire doit être remplacée. Le message a du mal à passer.
Quelles étaient alors vos recommandations pour améliorer la situation ?
Gilles Cottrell : Premièrement, le secteur privé doit avoir le même accès que le secteur public aux intrants contre le paludisme. Sur le terrain, nous avons constaté que certains coordonnateurs de zone sanitaire et logisticiens n’ont pas une connaissance précise des organismes qui distribuent les outils de lutte contre le paludisme : leur formation est essentielle. Enfin, la question de l’allègement administratif est centrale. Une sage-femme nous a dit : « J’ai signé pour sauver des vies, pas pour écrire des rapports toute la journée ».
Armel Djenontin : Nous recommandons également de renforcer le contrôle de qualité des moustiquaires, car tous les échantillons que nous avons prélevés dans les stocks n’étaient pas efficaces. Notre dernière recommandation est celle qui nous a inspiré le projet Sucoppa : renforcer l’engagement communautaire et impliquer d’autres personnes que les femmes enceintes, notamment leurs conjoints.
En quoi consiste concrètement ce projet Sucoppa, défini comme une « intervention innovante de sensibilisation communautaire » ?
Gilles Cottrell : Le but de Sucoppa est de trouver des moyens d’augmenter la connaissance, la perception du bien-fondé de la lutte contre le paludisme, tout en écoutant les communautés qui ont leurs raisons de ne pas accepter certaines stratégies.
Armel Djenontin : Les études successives ont en effet révélé un manque d’appropriation des informations par les femmes enceintes et par ceux qui sont en contact avec elles. Il faut trouver comment y remédier. La première année du projet sera consacrée au suivi d’une cohorte pour recueillir des informations épidémiologiques, entomologiques, socio-anthropologiques. Ensuite, selon les premiers résultats, nous construirons avec les communautés de nouveaux contenus de sensibilisation qui seront déployés par les nouveaux agents de santé communautaire du Bénin.
Gilles Cottrell : J’ajoute que même si les femmes enceintes et les jeunes enfants seront surreprésentés dans la cohorte, Sucoppa visera bien l’ensemble de la population. Et ce, pour nous assurer de toucher également les porteurs asymptomatiques du paludisme.
Comment va se dérouler cette co-construction ?
Armel Djenontin : En trois temps. Nous allons organiser une série d’ateliers pour présenter les résultats du suivi de la cohorte, proposer et valider les contenus, et enfin former ceux qui utiliseront ces contenus, notamment les agents de santé. Tout l’intérêt de cette étude est de démarrer sans a priori ni certitude sur les groupes à cibler ou les messages à porter. Nous allons partager les résultats des suivis de cohortes avec des représentants des communautés et ils proposeront les messages les plus adaptés. En tant que scientifiques, nous ne serons là que pour en vérifier l’exactitude.
Gilles Cottrell : Il est important que les propositions soient faciles à mettre en pratique, avec des moyens disponibles partout au Bénin. C’est pourquoi le projet comportera une phase de test dans une dizaine de villages. Si l’efficacité est démontrée, il sera alors possible de déployer ce type d’intervention à l’ensemble du territoire. La fin du projet sera, on l’espère, le début du passage à grande échelle.