RAITRA : défis, résultats et perspectives pour une lutte inclusive contre la tuberculose
RAITRA réinvente la lutte contre la tuberculose à Madagascar en plaçant l’accompagnement psychosocial et l’inclusion communautaire au cœur du dispositif. À travers un partenariat entre ATIA et trois organisations non-gouvernementales locales (KOLOAINA, VAHATRA, MAMPITA), ce projet soutenu par L’Initiative lie le parcours de soins aux réalités du terrain, renforce la coordination entre acteurs et pérennise un soutien de proximité, véritable moteur de l’adhésion thérapeutique.
Dans cet entretien croisé, Fanja Anselme RANAIVO et Thierry Martin COMOLET reviennent sur les défis relevés, les résultats obtenus et les ambitions de passage à l’échelle de RAITRA.
Comment décririez vous le projet RAITRA ?
Fanja Anselme RANAIVO : RAITRA est un projet innovant soutenu par L’Initiative qui agit en amont et en aval des soins biomédicaux, en tissant un lien d’écoute et de soutien entre les professionnels de santé et les communautés urbaines vulnérables.
Thierry Martin COMOLET : La tuberculose est avant tout une maladie de l’injustice sociale. Notre ambition était de rendre les dépistages et le suivi plus efficaces, non pas en livrant des médicaments, mais en accompagnant les patients jour après jour et en autonomisant les organisations non-gouvernementales locales.
Quels défis majeurs avez vous rencontrés ?
Fanja Anselme RANAIVO : Les bénéficiaires de RAITRA sont souvent isolés, marginalisés et démunis face aux barrières géographiques et économiques des services publics. La gratuité des traitements ne suffit pas : ils font face à une peur d’affronter une stigmatisation à l’accueil des centres, après avoir dû payer pour s’y rendre ou avoir dû parcourir de longues distances en passant par des ponts précaires pour consulter ou retirer leurs médicaments … Ils ont souvent besoin d’un accompagnement de proximité pour franchir ces étapes. Autant de freins qui peuvent expliquer, au niveau national, un taux de perdus de vue de 8,5 % parmi les patients diagnostiqués et notifiés.
Thierry Martin COMOLET : La coordination avec les services de santé s’est d’abord heurtée à certaines réticences : une partie des professionnels percevait ces nouveaux acteurs sociaux comme susceptibles de brouiller les rôles établis. Clarifier ces malentendus a nécessité un dialogue approfondi à tous les niveaux – central, régional et local.
Quelles solutions avez‑vous mises en œuvre ?
Fanja Anselme RANAIVO : Nous avons organisé des rencontres de coordination et partagé nos données en toute transparence. KOLOAINA, par son ouverture au dialogue, a pu progressivement lever les résistances et établir des protocoles clairs de collaboration.
Thierry Martin COMOLET : L’outil clé a été le compte‑rendu des visites et des indicateurs de suivi. En démontrant notre complémentarité, l’impact positif sur l’adhérence et l’accompagnement, nous avons convaincu, prouvé l’utilité du dispositif.
Quels résultats concrets tirez‑vous de RAITRA ?
Thierry Martin COMOLET : Au final, depuis 4 ans maintenant, les données parlent d’elles-mêmes : le projet a permis d’accompagner près de 2 000 patients suivis à domicile, avec un taux d’observance exceptionnel de 98 % sans aucune incitation financière – un indicateur rare sur un traitement de six mois. Nos enquêtes montrent aussi une évolution positive des connaissances, même si ces données restent déclaratives.
Fanja Anselme RANAIVO : Au‑delà des chiffres, c’est la confiance retrouvée qui est le plus marquant. Les bénéficiaires des ateliers de groupe de parole expriment souvent un soulagement de pouvoir s’exprimer sans jugement, un sentiment d’écoute et une meilleure compréhension de leur parcours de soins. Ce sont ces espaces, entre pairs ou avec un tiers de confiance, qui permettent de briser l’isolement et de renforcer l’adhésion au traitement.
RAITRA a-t-il permis un renforcement des capacités ?
Fanja Anselme RANAIVO : Les agents communautaires ont été formés à l’écoute active, à l’entretien motivationnel et à la prise en compte des violences basées sur le genre. Les trois OSC partenaires, dont l’objectif est initialement social, ont même inscrit leurs objectifs « santé » dans leur plan pluriannuel, démontrant une appropriation solide des acquis.
Thierry Martin COMOLET : Nos partenaires ont ainsi démontré que des interventions communautaires bien organisées, fondées sur l’accompagnement social, peuvent être bénéfiques non seulement pour la tuberculose et le VIH, mais aussi en nutrition, planning familial, prise en charge des maladies chroniques ou campagnes de vaccination. Il existe partout des perdus de vue par le système de santé, et nous, ONG, venons former le lien entre les centres de soins et les individus.
Un passage à l’échelle est-il envisagé ?
Thierry Martin COMOLET : La transmission de la tuberculose reste trop élevée et la malnutrition y contribue encore. En mettant en œuvre une phase 2 à ce projet, soutenu par L’Initiative, nous visons à étendre géographiquement le dispositif, intégrer davantage le VIH, le paludisme et les enjeux de genre, et à renforcer la formation technique des personnels en tuberculose dans les centres de santé.
Fanja Anselme RANAIVO : Nous voulons capitaliser sur l’expertise en accompagnement psychosocial et proposer un modèle généralisable aux centres de santé, pour que chaque patient ait accès à ce filet protecteur, quel que soit son lieu de vie. Soutenir l’inclusion communautaire, reconnaître l’apport des organisations de la société civile et pérenniser ce type d’accompagnement, c’est donner à chacun une chance de guérir en restaurant la confiance dans les structures de santé.