Tuberculose au Rwanda : une analyse géospatiale pour repérer les populations à risque manquantes

Patrick Migambi : En mettant en œuvre certaines recommandations de l’OMS, nous avons nettement amélioré notre taux de détection de la tuberculose, puisque nous sommes passés de 69 % à 91 %. Mais nous espérons aller encore plus loin, et notamment traiter avec succès au moins 90 % des personnes atteintes au niveau national.

Ente Rood : Le programme rwandais contre la tuberculose est en effet très efficace, avec un large réseau pour le diagnostic. Mais il reste de petits groupes de populations clés et vulnérables, en particulier des groupes marginalisés, qui ne sont pas repérés par le système de santé et au sein desquels la maladie continue de se transmettre.

Ente Rood : Ces difficultés sont générales et ne sont spécifiques ni au Rwanda ni à la tuberculose. Pour cette épidémie comme pour de nombreuses autres maladies infectieuses, l’un des plus gros défis consiste à savoir quelles sont les personnes à risque, où elles se trouvent et combien parmi celles porteuses de la tuberculose n’ont pu accéder aux services de santé. Les personnes font globalement appel aux soins seulement quand elles ont des symptômes, qu’elles savent qu’elles sont malades, qu’elles ont accès à des soins et qu’elles ont les moyens de les payer. Comme vous pouvez l’imaginer, il y a de nombreuses raisons pour lesquelles des personnes ignorent qu’elles ont peut-être la tuberculose, comme par manque d’argent ou de temps, ou encore parce qu’elles ne voient pas l’intérêt de consulter, même si elles ont des symptômes.

Le Rwanda dispose d’outils de diagnostic de haute qualité contre la tuberculose. Les difficultés viennent donc plutôt de la stigmatisation sociale liée au dépistage. Les infrastructures sont globalement disponibles, et, pourtant, des personnes continuent d’avoir des difficultés pour accéder aux services de santé ; les dernières barrières sont donc de nature socio-économique.

Patrick Migambi : Du point de vue épidémiologique, il faut vraiment cibler les personnes les plus à risque. La maladie n’est pas également répartie : on va par exemple trouver peu de cas dans la population générale. C’est pourquoi nous avons recours aux outils cartographiques et géospatiaux, pour aller le plus possible dans le détail, jusqu’à la plus petite unité administrative, et estimer les facteurs de risques à chaque niveau.

Ente Rood : La combinaison de la méthodologie MATCH et de l’outil d’estimation de la taille des populations clés et vulnérables permet d’établir une approche géostatistique pour identifier les cas où les personnes à risque de maladies n’auraient pas été repérées par le système de santé.

Patrick Migambi : Les trois grandes composantes de l’approche MATCH sont simples : identifier les risques de tuberculose, vérifier l’accès aux services de santé et notifier tous les cas repérés et guéris dans le but d’améliorer le diagnostic, réduire la transmission et faire reculer la pandémie.

Ente Rood : Nous comparons les statistiques en matière de détection de la tuberculose à des indicateurs de performance. En prenant en compte les données socio-économiques de la population, l’analyse spatiale de ces résultats fait apparaître des anomalies dans certains secteurs, qui peuvent – une fois vérifiées – indiquer la présence de populations vulnérables non atteintes par le système.

Ente Rood : Cet outil apporte un volet plus qualitatif. Nous avons ainsi interviewé des représentants de plusieurs parties prenantes pour nous aider à prioriser les populations clés et vulnérables parmi 22 groupes identifiés au Rwanda. Avec le programme national de lutte contre la tuberculose et le KIT, nous avons identifié six groupes clés et vulnérables qui ne faisaient pas encore partie des groupes prioritaires ciblés par le programme jusque-là : travailleurs et travailleuses du sexe, personnes usagères de drogues, migrants, personnes ayant une dépendance à l’alcool, etc. Puis nous avons essayé de classer et d’estimer la taille de ces groupes à l’échelle du pays afin de savoir dans lesquels faire davantage de tests contre la tuberculose.

Patrick Migambi : Connaître la taille des groupes à haut risque est en effet nécessaire pour planifier le dépistage. Cela nous permet de réaliser une analyse en cascade du patient, c’est-à-dire de ne pas prendre son cas isolément, mais de le considérer au sein d’une communauté. Ces informations nous permettent de réfléchir aux interventions qui seront menées et à la manière dont nous priorisons les zones. Dans la phase d’intervention, nous essayons de trouver les personnes qui ne sont pas encore en contact avec le système de santé. Est-ce qu’elles connaissent les signes de la maladie ? Est-ce qu’elles savent où aller se faire soigner ? Y a-t-il des moyens de diagnostic sur place ? Enfin, nous contrôlons si les personnes diagnostiquées ont bien reçu et suivi leur traitement, et nous vérifions si elles l’ont suivi jusqu’à son terme et ont été déclarées guéries.

Patrick Migambi : Cette analyse spatiale et cartographique nous a été recommandée par le Fonds mondial. Comme nous n’étions pas familiers de cet exercice, nous avons relevé que d’autres pays avaient mené de tels travaux avec l’appui de L’Initiative. Nous avons alors fait une demande d’assistance technique, qui a été favorablement accueillie, ce qui a ainsi permis la coopération entre le RBC et le KIT.

Ente Rood : L’Initiative a encouragé le projet du RBC et le KIT a été choisi pour piloter ces travaux. Elle nous a également aidés à accéder à certaines données de santé publique afin de nourrir les modèles statistiques de MATCH. Notre coopération a été très fructueuse.