Retour sur la première journée scientifique de L’Initiative, qui s’est tenue le 5 juin 2023 devant un parterre d’environ 100 personnes et qui était dédiée à la thématiques des enfants face aux pandémies de VIH, tuberculose (TB) et paludisme. Dans cette rubrique, vous avez la possibilité d’accéder aux diapositives et à une synthèse des différentes présentations.
Les particularités biologiques, immunitaires, physiologiques de l’enfant face à la TB
Le professeur Jean Gody, Directeur de l’hôpital pédiatrique de Bangui (République centrafricaine) a souhaité en introduction nous rappeler combien les vulnérabilités biologiques des enfants sont directement liées à leur croissance, aux acquisitions fonctionnelles du développement de leurs organes. Il a mis un accent sur l’acquisition de l’immunité qui, lorsqu’elle est entravée, met en péril l’intégrité de l’enfant : les 1000 premiers jours de l’enfant restent un moment clef pour le développement de l’enfant et de sa santé.
Des besoins spécifiques, pour chaque maladie
Ces particularités biologiques se traduisent également dans la nécessité de développer des produits de santé adaptés. La matinée a permis de réfléchir aux freins autres que technologiques et économiques qui retardent la mise à disposition de ces mêmes produits pour accélérer l’identification et la prise en charge des enfants affectés par la tuberculose. Réunissant quatre invités et animée par Florence Thune, Directrice générale de Sidaction, une première table ronde a rappelé les principaux défis dans les champs de la TB, du paludisme et du VIH. En ce qui concerne la TB pédiatrique, le défi principal reste le diagnostic : en effet 96 % des enfants qui décèdent de la TB n’ont pas été diagnostiqués. Les difficultés de détection de la tuberculose chez les enfants sont liées non seulement à la nature paucibacillaire de la maladie et à la conséquente faible sensibilité des tests microbiologiques mais aussi aux difficultés de prélèvements d’échantillons respiratoires (crachats) chez les plus jeunes. De nouvelles techniques moléculaires, à partir de prélèvements moins invasifs que le crachat (aspirations naso-pharyngées, selles) ouvrent de nouvelles perspectives, mais de fait le diagnostic radiologique et clinique reste le moyen diagnostic principal dans les centres de santé primaire.
La tuberculose, une maladie qui reste difficile à diagnostiquer
Dans une présentation des résultats de TB-SPEED, recherche cofinancée par L’Initiative et Unitaid dont il était l’investigateur principal, le Dr Olivier Marcy, Directeur de recherches à l’Université de Bordeaux, a rappelé que les attentes du côté du diagnostic de la TB pédiatrique sont énormes, et que l’enjeu du diagnostic est à considérer avec celui de sa décentralisation, qui est certes recommandée par l’OMS mais qui manque de preuves. La décentralisation mise en place dans le projet TB-SPEED a permis de tripler le nombre de cas détectés. Le projet a aussi dessiné les pistes pour améliorer le diagnostic de la TB chez les enfants vulnérables comme ceux atteints de pneumonie grave, de malnutrition aiguë sévère et/ou qui vivent avec le VIH. En effet, il a non seulement démontré la faisabilité, auprès de ces groupes spécifiques, des nouvelles approches moléculaires sur prélèvements alternatifs (aspirations naso-pharyngées, selles) mais aussi permis la validation d’algorithmes diagnostiques spécifiques, pouvant contribuer à augmenter la détection des cas.
L’accès aux examens radiologiques, autre pièce maîtresse du diagnostic de la TB, demeure, lui aussi, très compliqué sur le terrain. Selon le Dr Maud Berset, conseillère technique à la Elizabeth Glaser Pediatric AIDS Foundation, cela s’explique surtout par les frais de déplacement vers les centres disposant de cet équipement et par le faible nombre de radiologues et d’experts TB capables d’interpréter les clichés radiologiques. Néanmoins, le développement d’appareils radiologiques numériques portables et de systèmes d’interprétation de radiographies par ordinateur devrait ouvrir de nouvelles opportunités en termes de décentralisation du diagnostic.
Le traitement des enfants infectés par la tuberculose présente également des défis spécifiques, on constate encore un manque de données pour les schémas thérapeutiques courts chez les enfants et une absence de formulation pédiatrique pour la Rifapentine. Enfin, bien qu’il y ait 16 vaccins en cours de développement pour compléter le vaccin contre la tuberculose (BCG) qui protège uniquement les très jeunes enfants des formes graves, aucun des essais en cours de développement n’a de programme clinique chez les enfants !
Le paludisme, des outils qu’il faut déployer plus efficacement sur le terrain
Le paludisme présente également des enjeux spécifiques, qui ont notamment été rappelés par le Dr André-Marie Thcouatieu, Directeur du département « Access and Product Management » chez Medicines Malaria Venture. Il a notamment mis en avant le problème de l’acceptabilité des moustiquaires qui, même quand elles sont bien distribuées, peuvent se heurter à des freins comme un design inadapté ou une couleur qui sera moins utilisée qu’une autre. Les freins à la chimio-prophylaxie saisonnière (CPS) ont aussi été évoqués, et notamment le fait qu’elle doit être donnée aux enfants lors de la saison de grande activité agricole, c’est-à-dire alors que les parents sont moins disponibles.
C’est justement pour augmenter l’efficacité de la CPS, que le Dr Paul Sondo, chercheur à l’Institut de recherches en sciences de la santé de Nanoro (Burkina Faso), a initié la recherche SMC-RST (seasonal malaria chemoprevention). Son hypothèse de départ est que le foyer familial représente un réservoir de parasites, à partir duquel les moustiques continuent de s’alimenter et de transmettre la maladie, compromettant ainsi l’efficacité de la CPS. Dans le cadre de son projet soutenu par L’Initiative, Dr Sondo vérifie son hypothèse en testant et traitant tous les membres de la famille de l’enfant mis sous CPS, y compris les membres asymptomatiques, afin d’assécher le réservoir et couper la dynamique de la transmission. Les premiers résultats sont très encourageants et confirment que la CPS n’a pas dit son dernier mot.
Le VIH, une maladie aux enjeux disparates dans les différents âges de la vie
Le VIH pédiatrique a également été longuement abordé, avec notamment la question majeure des formulations pédiatriques : sans formulation adaptée (en termes de dosage, de texture et de goût), les antirétroviraux (ARV) risquent de ne pas être acceptés par les enfants. Le Dr Janice Lee, pharmacienne en charge des questions d’accès à la DNDi (Drugs for Neglected Diseases initiative), a présenté les défis liés à l’introduction du « 4 en 1 », formulation qui a l’avantage de pouvoir être consommée avec n’importe quel aliment ou boisson. Le « 4 en 1 » vient compléter le dolutégravir pédiatrique, mais le positionnement de cette combinaison en 2 ou 3ème ligne génère d’autres défis comme celui des faibles volumes de commande et donc de disponibilité sur les marchés. David Maman, conseiller VIH du Fonds Mondial a rappelé que la transition vers le dolutégravir pédiatrique, qui est aujourd’hui largement distribué, a été l’une des plus rapide de l’histoire : d’ici la fin 2023, tous les pays d’Afrique de l’Ouest et du centre auront fini leur transition vers le dolutégravir pédiatrique.
L’ensemble des acteurs qui ont discuté, présenté, débattu ce 5 juin, était d’accord sur le fait qu’il est nécessaire d’aborder ces maladies pédiatriques en combinant plusieurs approches et aspects, qu’il s’agisse de nutrition, de co-infection, ou du rôle de l’environnement familial. Ce sont d’ailleurs des approches multiples, combinées et co-construites à partir des besoins des enfants et adolescents qui font le succès des programmes dédiés mis en œuvre au Sénégal. Depuis 2000 et le début de la disponibilité des ARV au Sénégal, le CRCF et ses partenaires ont mené des projets interventionnels dans le but d’optimiser et d’intégrer la prise en charge clinique et psychosociale au Sénégal. Les Dr Aminata Diack, pédiatre au Centre hospitalier national d’enfants Albert Royer de Dakar et Cécile Cames, épidémiologiste à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), ont partagé les évolutions de ces programmes, et souligné les grands succès qu’ont constitué la mise en place d’un dispositif d’annonce précoce, la transition dans les soins du service pédiatrique au service adulte, l’amélioration de la « cascade des soins » et de la suppression virologique, le monitoring et le diagnostic nutritionnel. Parmi les défis majeurs qui restent à relever, elles ont toutes les deux mentionné la prise en compte de la santé mentale.
Les Dr Géres Ahognon et Caroline Yonaba, respectivement Directeur exécutif et point focal du réseau pédiatrique « Enfant et VIH en Afrique » (EVA) ont également rappelé ce qui reste à accomplir, notamment pour atteindre une transition réelle de la pédiatrie vers les soins pour adulte pour les adolescents vivant avec le VIH en Afrique. Ils ont présenté les enseignements principaux tirés du projet TRANSTION soutenu par L’Initiative et Sidaction, en mettant en exergue les enjeux de santé mentale que rencontrent les enfants et adolescents, qui peuvent engendrer l’isolement des jeunes patients, voire le refus de soins. Tout le travail pionnier accompli par le réseau EVA démontre que seuls des dispositifs de prise en charge pensés et conçus par et pour les communautés peuvent aboutir à des résultats satisfaisants.
Plaidoyer en faveur de l’approche communautaire, pour répondre aux besoins au plus près du terrain
Au cours du panel sur l’approche communautaire pour l’amélioration de la santé de l’enfant, le Dr Nuccia Saleri, consultante au Fonds Mondial, a renouvelé son encouragement à investir le champ de la tuberculose avec des approches communautaires pour les enfants, afin de faciliter l’annonce, l’observance au traitement et renforcer le soutien psychologique en raison notamment d’une forte stigmatisation. La mobilisation des jeunes auprès des programmes nationaux, sur les sujets qui les concernent comme le suivi de la file active, la stigmatisation et la dépression, et auprès de leurs pairs pour accroitre leur savoir sur les questions relatives aux droits et la santé sexuels et reproductifs (DSSR) ne doit pas faiblir et l’ambassadeur du réseau GRANDIR Dieudonné Awolokou-F était là pour le rappeler à l’audience. Sur le sujet, parfois délicat, de la sexualité le Dr Mahamadou Balarabe, Responsable Offre services en santé sexuelle et reproductive pour Solthis au Niger a présenté le projet JADES qui a justement pour vocation l’empowerment des jeunes et le renforcement des services de santé sexuelle. Penda Toure, Directrice Exécutive du « Centre Solidarité Action Sociale » à Bouaké, Côte d’Ivoire, et Christine Kafando, Présidente de l’ONG « Espoir pour demain » au Burkina Faso ont aussi rappelé l’importance du renforcement de l’approche familiale pour améliorer le dépistage, l’annonce et le suivi du traitement chez les enfants et les jeunes. Enfin les panélistes autour de Dr Rachel Ndaya, médecin au Réseau des Associations Congolaises des Jeunes (RACOJ) ont rappelé que le plaidoyer doit s’intensifier pour favoriser le dépistage et l’accès aux soins des jeunes, et que le consentement des parents reste trop souvent un frein dans de nombreux pays comme illustré ci-après par les données ONUSIDA.
Mettre les enfants et les adolescents au centre, dans leur diversité
Le thème des adolescents et de leur interaction grandissante avec le monde qui les entoure est évocateur de la diversité des enfants et des enfances.
Au cours de cette journée scientifique, la diversité des enfants et leurs attentes ont été souvent mises en avant pour illustrer les défis d’aujourd’hui dans leur lutte contre les pandémies. Dr Hélène Kane au cours d’une intervention intitulée la « Diversité des enfants et de leur expérience de la maladie en Afrique de l’Ouest » nous a rappelé que l’on assiste à une évolution des parentalités mais aussi des « infantilités ». Alors que l’enfant est souvent conçu comme « victime » de la maladie, les observations anthropologiques montrent bien que ces enfants sont acteurs de leur maladie, et ce indépendamment de leur âge. Ils développent des stratégies personnelles, choisissent les interlocuteurs à qui pouvoir faire confiance, construisent leur propre chemin pour faire face aux nombreux défis de la prise en charge. Le Dr Kane a relevé que, bien souvent, les enfants expriment le sentiment de subir les soins (résultats du programme ENSPEDIA). Elle a donc insisté sur l’importance d’expliquer la maladie pour réduire les craintes de l’enfant et accompagner la gestion des maladies chroniques. En fait, il faut permettre aux enfants de mieux gérer leur maladie, sachant que les enfants puisent dans différents registres de savoirs pour comprendre leur maladie.