Au Burkina Faso, le paludisme demeure un problème de santé publique majeur : 11 millions de cas sont répertoriés chaque année. Pour contrer la maladie, l’OMS recommande depuis 10 ans une stratégie qui a fait ses preuves : la chimioprévention du paludisme saisonnier (CPS). Il s’agit d’utiliser des médicaments antipaludiques pour prévenir les cas graves chez les enfants de moins de 5 ans, très vulnérables à la maladie. Ces médicaments sont donnés durant les périodes de fortes transmissions, dans les zones où la charge infectieuse est la plus élevée. A ce jour, la CPS a permis de réduire l’incidence du paludisme dans le pays, mais la maladie continue de tuer 4 000 personnes chaque année, majoritairement de jeunes enfants.
Pour Paul Sondo, ces décès seraient imputables à des raisons exogènes. Il pilote le projet SMC-RST sur la CPS, soutenu par L’Initiative, pour lequel il mène une recherche opérationnelle pour rendre la mise en œuvre de cette stratégie de prévention plus efficace.
Paul Sondo
est docteur, biologiste et parasitologue à l’Institut de Recherche en Sciences de la Santé (IRSS) au Burkina Faso. Il évoque la recherche opérationnelle, menée dans son pays sur l’importance d’adopter des stratégies préventives combinées pour diminuer l’incidence du paludisme dans le pays.
Dans quel contexte sanitaire votre étude s’insère-t-elle ?
La CPS se déroule durant la période de transmission du paludisme. Une dose antipaludique est administrée deux fois aux enfants, à un mois d’intervalle. Les autorités politiques et sanitaires du pays œuvrent à une large couverture de la CPS et l’acceptabilité du traitement par la population est bonne. Pourtant, nos observations nous indiquent que la stratégie nationale de prévention pourrait être plus efficiente. Alors nous nous sommes interrogés pour comprendre les facteurs qui expliquent cette situation. Dans cette optique, nous avons mené cette étude dans le district sanitaire de Nanoro, à l’ouest du Burkina, où la saison palustre dure de juin à octobre, avec un pic de transmission habituellement lors de ce dernier mois.
Notre hypothèse de départ est que les enfants, bien que sous traitement CPS, continueraient d’être infectés par la maladie au sein de leur foyer familial : la proximité de personnes, qui hébergent les parasites responsables du paludisme sans le développer, en serait la cause. Ces porteurs asymptomatiques ne sont ni dépistés ni traités. Dans ces conditions, le cycle de transmission de la maladie ne serait pas stoppé et les enfants ne bénéficieraient pas des effets escomptés de la CPS.
Comment avez-vous mis en œuvre l’étude ?
Nous avons combiné des stratégies préventives dans le but de renforcer l’impact de la CPS et de diminuer de façon durable l’incidence du paludisme. Entre 2021 et 2022, nous avons mis sur pied un essai clinique randomisé.
526 foyers, dans lesquels vivent des enfants de 3 mois à 5 ans, ont été sélectionnés, répartis au hasard en deux groupes. Dans le premier, la CPS a été mise en œuvre de façon standardisée. Dans le deuxième, elle a été couplée à des dépistages et traitements des autres membres du foyer. Dans les deux groupes, les enfants ont été suivis à raison d’une visite à domicile chaque mois, durant les périodes de forte transmission. Les parents ont dû également se rendre dans les centres de santé si un membre du foyer était malade.
Quels ont été les résultats de votre étude ?
Notre hypothèse s’est confirmée. Nous avons bien observé une corrélation entre le nombre d’enfants dépistés positifs à la maladie et le nombre de personnes de leur entourage contaminées. Dans le groupe où la CPS avait été associée à la stratégie préventive supplémentaire, l’incidence cumulée du paludisme était nettement inférieure que dans le premier groupe. Cette intervention semble donc interrompre le cycle de transmission au sein du foyer, et renforcer l’efficacité de la CPS chez les enfants de moins de 5 ans.
Quelle est la place des interventions communautaires dans la lutte contre le paludisme ?
L’approche communautaire est complètement intégrée à la stratégie de la CPS. Elle l’est aussi dans ce projet. Grâce à celle-ci, la population s’est de plus en plus engagée dans la démarche, au fur et à mesure du déroulé de l’étude.
Cette approche se matérialise dans notre projet par du porte-à-porte pour sensibiliser les familles au paludisme. Il faut que la population puisse davantage comprendre les mécanismes de transmission de la maladie et les stratégies développées pour la contrer. Cette éducation sanitaire augmente significativement le niveau de connaissance relatif à la maladie. Nous l’avons évalué de façon qualitative par des entretiens individuels et des groupes de discussion. Ces interventions communautaires permettent également d’augmenter la confiance de la population vis-à-vis du personnel soignant. Les habitants sont alors davantage impliqués, plus enclins au dépistage et au traitement par exemple, ou à l’usage de moustiquaires dans leur habitation.
Les facteurs environnementaux peuvent-ils avoir un impact sur la propagation du paludisme ?
Le changement climatique peut avoir des conséquences sur la transmission de la maladie. Les pluies peuvent, par exemple, être plus précoces ou tardives et impacter ainsi la prolifération des moustiques, vecteur de la maladie. Une stratégie comme celle de la CPS, qui cible le pic de transmission, doit s’adapter pour que l’intervention débute au moment le plus opportun. Dans le district de Nanoro, nous constatons que le pic de forte transmission a lieu de plus en plus tard dans l’année. Si habituellement il se déclare en octobre, il se déplace parfois en novembre, voire en décembre.
Quelles sont les prochaines étapes suite à l’obtention des résultats de l’étude ?
En matière de suites à donner à l’étude, pour le moment, nous diffusons les résultats de cette étude. Nous allons également les partager avec les décideurs politiques burkinabés et la communauté scientifique internationale.
Sur le plan de la recherche, une des pistes que nous continuons à explorer est la conséquence de cette stratégie préventive combinée sur la résistance des parasites. Une mise en œuvre à plus large échelle, sur une plus longue période, pourrait en effet exercer une pression médicamenteuse et potentiellement générer une résistance du parasite, avec un risque de diminution de l’efficacité de l’intervention.